«Bötschi questionne» Jessica Sigerist: «La sexualité c’est plus que les préliminaires, la pénétration et fini»

De Bruno Bötschi

9.3.2020

Jessica Sigerist (avec son partenaire Tobias Zimmermann) à propos du corps féminin: «Le corps féminin est soumis à davantage de visibilité dans l’espace public, il est beaucoup plus fréquemment critiqué. Pour les femmes, la beauté est extrêmement importante alors que les hommes ont davantage de possibilités d’être attractifs, par exemple avec leur fortune et leur intelligence.»
Jessica Sigerist (avec son partenaire Tobias Zimmermann) à propos du corps féminin: «Le corps féminin est soumis à davantage de visibilité dans l’espace public, il est beaucoup plus fréquemment critiqué. Pour les femmes, la beauté est extrêmement importante alors que les hommes ont davantage de possibilités d’être attractifs, par exemple avec leur fortune et leur intelligence.»
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Elle est gérante du premier sex-shop sexe-positif, queer et féministe de Suisse. L’occasion d’un entretien en compagnie de Jessica Sigerist pour parler d’émancipation, de relations libres et des moments où les sex-toys peuvent aider.

Madame Sigerist, nous allons nous livrer aujourd’hui au jeu des questions-réponses: je vais vous poser un maximum de questions auxquelles vous devez répondre le plus rapidement et spontanément possible au cours des prochaines 45 minutes. Si l’une des questions ne vous convient pas, dites simplement «Je passe».

Votre livre préféré en matière de sexe?

Un livre important à mon avis sur le plan du sexe et des relations est l’ouvrage spécialisé «The Ethical Slut» (La salope éthique) de Dossie Easton et Janet W. Hardy. Et j’aime la littérature érotique d’Anaïs Nin, comme son livre «Delta de Venus».

Et votre film préféré en matière de sexe?

Mon Dieu … désolé, mais là il n’y en a aucun qui ne me vient à l’esprit.

Le nom d’une féministe suisse qui vous vient immédiatement en tête?

Franziska Schutzbach. Elle est l’une des voix les plus engagées actuellement en Suisse s’agissant de «féminisme».

Vous avez raconté dans l’hebdomadaire «Woz» qu’il vous était plus aisé que pour d’autres personnes de parler de sexe. Pourquoi donc?

Je suis issue d’une part d’un foyer où le thème de la sexualité a été abordé très tôt et de manière très libérale et qui m’a d’autre part profondément intéressée tout au long de ma vie. Le fait d’aimer en parler est également une question de pratique, comme tant de choses dans la vie. Je trouve en outre important de toujours dire aux personnes avec qui l’on a des relations sexuelles les choses qu’on aime ou au contraire n’aime pas.

Est-ce bien vrai que vous avez déjà parlé de sexe avec vos parents à l’âge de quatre ans?

C’est exact. Mes parents m’ont éclairée tôt sur la question, nous avons par exemple évoqué aussi la masturbation et le fait que c’était quelque chose de bien à l’opposé de l’avis de certains représentants de l’église. Nous avons aussi parlé en famille qu’il existait des personnes homosexuelles ou bisexuelles. J’en suis reconnaissante à mes parents. Les connaissances de toutes ces choses sont le premier pas vers une sexualité autodéterminée. Je trouve également hyper important que le sujet de la sexualité soit traité de manière exhaustive à l’école, au contraire de ce qui a été fait durant ma scolarité.

Racontez-le nous.

Lorsque j’étais encore à l’école, nous avons été surtout informées durant le cours d’éducation sexuelle sur la façon de ne pas tomber enceinte et de comment il est possible de se protéger des maladies sexuellement transmissibles. On nous a également expliqué toutes les conséquences fâcheuses pouvant survenir lors de relations sexuelles. Je trouve pourtant que les cours d’éducation sexuelle devraient aussi aborder les questions du désir et du plaisir ainsi que les différentes orientations sexuelles.

Vous gérez depuis décembre en compagnie de votre partenaire d’affaires Tobias Zimmermann le sex-shop en ligne Untamed.love qui est, selon votre site Internet, le premier sex-shop sexe-positif, queer et féministe en Suisse.

Tobias et moi trouvions depuis longtemps déjà qu’il était temps de lancer un nouveau genre de sex-shop en Suisse. Alors que nous étions tous les deux à la recherche de nouveaux défis l’année passée, nous avons décidé spontanément de démarrer le projet nous-mêmes. Avec notre boutique, nous souhaiterions partager des valeurs également présentes dans notre vie.

Qu’en est-il plus concrètement?

Il existe deux catégories de sex-shops: il y a d’une part ceux établis de longue date, un peu démodés et d’autre part ceux modernes au design très soigné. Leur publicité s’adresse presque exclusivement aux hétérosexuels. Nous sommes plutôt issus de la scène sexe-positive et comptons également du coup une importante clientèle ayant des modes de vie alternatifs.

Jessica Sigerist à propos de l'éducation sexuelle à l'école: «On nous a également expliqué toutes les conséquences fâcheuses pouvant survenir lors de relations sexuelles. Je trouve pourtant que les cours d’éducation sexuelle devraient aussi aborder les questions du désir et du plaisir ainsi que les différentes orientations sexuelles.»
Jessica Sigerist à propos de l'éducation sexuelle à l'école: «On nous a également expliqué toutes les conséquences fâcheuses pouvant survenir lors de relations sexuelles. Je trouve pourtant que les cours d’éducation sexuelle devraient aussi aborder les questions du désir et du plaisir ainsi que les différentes orientations sexuelles.»
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Que signifie sexe-positif?

Ce terme signifie que chaque personne doit vivre sa sexualité comme bon lui semble. Que tous les adultes soient respectés dans l’expression de leur propre sexualité, indépendamment du fait de comment, avec qui, ou à quelle fréquence ils la vivent. On ne porte par exemple aucun jugement de valeur sur les relations entre personnes hétérosexuelles ou homosexuelles. Sexe-positif ne dit pas ce qui est juste ou faux. C’est aussi le fait de ne pas juger ou condamner les autres individus en raison de leurs désirs, pratiques et orientation sexuels. Mais cela ne signifie pourtant pas que le sexe est le point central et que tout le monde doit avoir autant de relations sexuelles que possible.

Pourriez-vous encore expliquer le terme «queer-féministe» de manière courte et précise s’il vous plaît.

Je pense que la signification du mot «féministe» devrait être claire. Ce concept désigne l’égalité des droits entre les sexes. Le mot «queer» est un terme générique désignant les orientations et les identités sexuelles. S’il avait auparavant souvent une connotation négative, il est aujourd’hui le terme collectif qualifiant toutes les orientations sexuelles et identités de genre n’entrant pas dans la catégorie de l’hétéronormativité et de la cisnormativité, comme les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, intersexes et asexuelles.

Souhaitez-vous devenir la nouvelle Beate Uhse ?

Pourquoi pas? L’histoire personnelle de Beate Uhse est intéressante. Son nom est surtout associé aujourd’hui à une image de sexe obscène. Elle a pourtant été aussi un précurseur des mouvements féministes et en matière d’éducation sexuelle. Cela ne me dérangerait donc pas d’être la nouvelle Beate Uhse.

Comment votre sex-shop en ligne se démarque-t-il des autres enseignes proposant un assortiment semblable?

Chez nous, tous les gens doivent pouvoir faire des achats. Nous voulons toucher tout le monde contrairement à de nombreux autres commerces.

Il faut nous expliquer cela.

Les autres shops basent presque uniquement leur publicité sur des femmes en poses sexy ou sur de jeunes couples à la peau blanche, ce qui me pose problème.

Lequel?

Ce langage visuel affirme quel genre de sexe doit être considéré comme «correct», à savoir celui d’un couple en relation monogame, hétérosexuelle, donc des relations entre de beaux jeunes gens blancs, sans handicap. Mais tous les autres individus ont également des relations sexuelles. Nous souhaitons au contraire nous adresser aux personnes ayant des identités sexuelles complètement différentes.

Et quoi d’autre vous dérange dans les sex-shops ordinaires?

Notre offre est moins étoffée, on pourrait presque dire «triée sur le volet». Les autres boutiques ont un choix gigantesque d’articles, ce qui ne permet pas aux personnes non-initiées de se faire une idée sur la qualité de la marchandise en vente. Nos produits sont en outre tous sans danger pour le corps. Certains plastifiants artificiels interdits pour les jouets des enfants sont toujours autorisés pour les godemichets et plug anaux, faute de loi prévue à cet effet. Mais je pense que si une telle substance ne doit pas être mise dans la bouche d’un enfant, les adultes ne devraient pas non plus l’introduire dans leurs orifices corporels.

L’actrice hollywoodienne Gwyneth Paltrow agite justement la toile avec sa bougie baptisée «This Smells Like My Vagina» (ça sent comme mon vagin). La bougie a alimenté les sujets de discussion de nombreux médias la semaine dernière et tous les exemplaires ont dû trouver preneur en un temps record sur la boutique en ligne Goop de la comédienne. Qu’en pensez-vous?

J’ai bien sûr entendu parler de cette histoire, mais honnêtement, ce produit ne m’intéresse pas vraiment. Je n’arrive pas à imaginer que cette bougie puisse avoir l’odeur de vagin. Madame Paltrow n’est à mes yeux qu’une autre star désirant gagner le plus d’argent possible en commercialisant un produit quelconque.

Tout le monde parle actuellement de vulve, la chanteuse de soul Erykah Badu prévoit elle aussi de lancer des bâtons d’encens parfumés à ses parties intimes baptisés «Badu’s Pussy» (la chatte de Badu).

Ah bon, je n’en avais pas encore entendu parler. Je n’ai pas vraiment abordé le sujet des senteurs jusqu’à présent. Ce serait encore excitant de savoir si une bougie qui sent le pénis serait aussi au top des ventes.

Le serait-elle?

Aucune idée, mais en l’état actuel des choses, je peux seulement affirmer que nous ne proposerons pas de telles bougies à la vente chez nous dans un avenir proche.

Il y a apparemment une grande méconnaissance sociale de l’ anatomie féminine .

Ce qui doit être certainement vrai. Qu’est-ce qu’au fond un clitoris, quelle est sa taille et sa fonction? Les réponses à ces questions n’ont été discutées plus largement par la société qu’au cours des dernières années. Le cliché que la sexualité féminine, c’est-à-dire la vulve ou le clitoris, reste incroyablement compliquée et qui explique pourquoi les femmes ont bien plus de difficultés à atteindre l’orgasme, perdure encore. Il ne me paraît pas étonnant que cela semble autant compliqué si on nous l’inculque tout au long de notre existence. Biologiquement parlant, il n’y a absolument aucune raison qui justifierait que l’orgasme soit plus difficile à atteindre pour les femmes.

Jessica Sigerist (avec son partenaire commercial Tobias Zimmermann) à propos de Sextoys: «Une bonne communication est la garantie d’une relation épanouie. La sexualité dans une relation est une problématique très complexe qui ne peut pas simplement être résolue en utilisant un sextoy.»
Jessica Sigerist (avec son partenaire commercial Tobias Zimmermann) à propos de Sextoys: «Une bonne communication est la garantie d’une relation épanouie. La sexualité dans une relation est une problématique très complexe qui ne peut pas simplement être résolue en utilisant un sextoy.»
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«Les femmes sont davantage mécontentes de leur apparence physique que les hommes» selon la sexologue allemande Andrea Bräu.

Je le pense aussi.

Quelle pourrait en être la raison?

Le corps féminin est soumis à davantage de visibilité dans l’espace public, il est beaucoup plus fréquemment critiqué. Pour les femmes, la beauté est extrêmement importante alors que les hommes ont davantage de possibilités d’être attractifs, par exemple avec leur fortune et leur intelligence.

Les femmes peuvent pourtant aussi être riches et intelligentes.

Bien sûr qu’elles le peuvent également, mais cela ne les rend pas encore assez attractives si leur physique n’est pas également à la hauteur. Regardez donc dans les médias: peu importe pourquoi une femme se trouve sous les feux des projecteurs, son apparence est toujours un thème à l’ordre du jour. Je peux encore le concevoir s’il s’agit d’un modèle, mais pas pour une politicienne ou une sportive. Pourquoi critique-t-on l’apparence de ces femmes, chose qui ne se produit pas avec les hommes?

Durant la puberté, de nombreux garçons comparent tôt ou tard leurs organes sexuels entre eux. Les filles le font aussi?

Je ne l’ai jamais vécu personnellement. Le sujet est encore maintenant davantage occulté chez les femmes. J’ai déjà participé à des  «ateliers d’auto-observation de la vulve» où j’ai rencontré des femmes qui n’avaient encore jamais regardé d’autre vulve que la leur. Elles sont nombreuses à se rendre compte, souvent seulement durant de tels ateliers, que les vulves peuvent avoir un aspect très différent. Une femme a pensé des années durant que les lèvres de sa vulve étaient trop grandes. De grandes lèvres doivent, de manière incompréhensible, représenter quelque chose de négatif. Le moment a été chargé d’émotion lorsqu’elle a réalisé que d’autres femmes avaient des lèvres de forme identique aux siennes voire encore plus grandes chez certaines.

Pourquoi une femme ou un homme a-t-il donc besoin d’un sextoy?

En bref, c’est amusant. C’est peut-être aussi un accessoire permettant aux personnes souffrant d’un handicap physique d’atteindre certaines parties du corps difficilement accessibles pour elles. Et aussi destiné à stimuler les individus qui ressentent un certain malaise à toucher leurs parties intimes. Nous ne te disons tout de même pas d’utiliser un sextoy si ta vie sexuelle est endormie. L’idée d’essayer des nouveautés peut être une bonne chose lorsque le désir est éteint mais ne voulons pas insinuer que nos clients ont de mauvaises pratiques sexuelles. Un jouet sexuel est aussi utilisable lorsqu’on a déjà une super vie sexuelle. Il permet d’explorer de nouveaux horizons. On ne mange quand même pas tous les jours un repas identique.

Les sextoys peuvent-ils rendre une relation entre partenaires plus excitante voire même la sauver?

La sauver, je n’y crois pas vraiment. Une bonne communication est la garantie d’une relation épanouie. La sexualité dans une relation est une problématique très complexe qui ne peut pas simplement être résolue en utilisant un sextoy. Mais peut-être qu’un sextoy peut contribuer à entamer une discussion.

J’ai parlé il y a quelques mois avec la gérante du magasin Erotikmarkt à Volketswil. Elle estimait que le Womanizer était actuellement le sextoy ayant le plus de succès. Il n’est pas en vente chez vous. Pourquoi?

C’est vrai, mais nous proposons deux autres stimulateurs clitoridiens, également par ondes de pression, dans nos rayons. Il s’agit des modèles Satisfyer et Lelo, figurant aussi parmi les meilleures ventes de jouets érotiques.

Quels autres objets les femmes achètent-elles encore chez vous?

Je ne peux pas vous le dire car nous partons du principe qu’il n’existe pas seulement deux sexes binaires. Notre clientèle ne doit pas mentionner son sexe lors de ses achats. Nous trouvons stupide les catégories «réservé aux femmes» et «réservé aux hommes». Nous considérons que certaines personnes ne sont d’aucun des deux sexes, raison pour laquelle nous ne tenons pas de statistiques à ce sujet.

On peut lire sur votre site Internet vos préférences sexuelles et celles de votre partenaire commercial.

Nos clients doivent savoir qui nous sommes et ce que nous aimons.

Testez-vous tous les sextoys?

Pas tous, mais beaucoup.

Y en a-t-il que vous n’utiliseriez jamais du tout?

Je suis franchement ouverte, j’essaie pratiquement tout, mais je sais aussi qu’il existe certaines variantes qui ne s’accordent pas avec mes préférences.

Lesquelles par exemple?

Je préférerais ne pas tester tous les articles extrêmement douloureux sans exclure pour autant que nous les acceptions au magasin.

Quels articles n’auraient formellement pas leur place dans votre magasin?

Je vous l’ai déjà dit, nos produits doivent tous être sans danger pour le corps. Et comme il n’y a pas de catégories de genre, elles ne doivent pas non plus figurer sur les emballages. Nous ne voulons en outre pas de produits sur lesquels se trouvent des images manifestement discriminatoires.

Vous proposez également des produits BDSM. Un large public pense que le sadomasochisme se résume à l’humiliation, à savoir que l’on fait d’une personne son objet.

Le BDSM désigne de nombreux éléments: bondage et discipline, domination et soumission, sadisme et masochisme. Je trouve personnellement que l’humiliation est une variante intéressante lorsqu’elle se déroule dans un cadre consensuel, condition essentielle des pratiques BDSM. Tout le reste s’apparenterait à une agression ou un abus sexuel.

Il semble donc que ce soit une question de présentation, c’est-à-dire à l’extérieur de la salle de torture peinte en noire?

Le BDSM a malheureusement une mauvaise image au sein de la société. C’est dommage. Comme ce serait beau si ces préjugés n’existaient pas. J’espère que notre boutique permette de les contrecarrer. Oui, il existe des personnes aimant avoir des relations sexuelles dans des salles de torture, mais le BDSM est bien plus que cela.

Qu’y trouvez-vous de particulièrement passionnant?

Le BDSM a une vision bien plus large de la sexualité et souhaite rompre avec cette idée qu’il s’agit uniquement de stimulation des parties génitales. La fessée érotique par exemple ne se résume pas seulement à la douleur.

Mais encore?

Lorsqu’on frappe la peau, et je ne parle pas ici de coups forts et douloureux, elle devient beaucoup plus sensible aux caresses ou en jouant avec différentes températures. Ou on peut ensuite aussi passer une roulette à picots sur la peau. Un article qui se vend du reste très bien chez nous. De tels jouets permettent de diversifier sa sexualité, qui ne se limite pas aux préliminaires, la pénétration et fini.

Et voici encore une citation de la sexologue Andrea Bräu: «Les gens n’ont plus envie de toujours performer, fonctionner, chose valable également pour le sexe. Car les exercices de gymnastique et les exploits n’ont rien à voir avec une expérience érotique épanouissante». Vrai ou faux?

Une bonne sexualité n’est évidemment pas seulement liée à la pénétration. Et elle ne doit pas toujours n’être que violente et sauvage. Tout ça peut être cool bien sûr, et on peut aussi le pratiquer de cette manière, mais il y a encore tant d’autres choses à découvrir à côté de cela. Un acte sexuel ne doit pas non plus obligatoirement se terminer par un orgasme. Celui qui ne cède pas à cette pression est davantage ouvert à des types de jeu nouveaux et différents.

Est-il recommandé de rire durant les rapports sexuels?

Absolument, le sexe doit être drôle.

Vous souhaitez instaurer une normalité pour des choses qui s’écartent plutôt de la norme sociale.

C’est comme ça. La société juge constamment quel type de sexualité est convenable ou non. Pour moi par contre, chaque type de sexualité est acceptable du moment qu’elle intervient entre adultes consentants.

Vos produits sont envoyés par poste mais quand même dans des emballages neutres. Pourquoi?

Ce serait aussi plus amusant si la situation chez nous était différente et que l’on pouvait envoyer un paquet dans un emballage suggestif. Briser les tabous est notre objectif final. Personne n’a également honte de recevoir un paquet de chez Zalando. Lors d’échanges avec des sex-shops semblables au nôtre, nous avons dû cependant apprendre qu’un emballage discret est un élément important dans une société encore peu ouverte et peu progressiste.

Estimez-vous que les Helvètes sont trop prudes? Même le magasin Erotikmarkt n’utilise plus aujourd’hui de sacs plastiques à l’aspect neutre, mais avec le logo imprimé dessus.

C’est audacieux.

Les Suisses doivent être de super clients, expliquaient dans un entretien au «Spiegel» deux collaborateurs d’un sexe-shop de la Reeperbahn à Hambourg. Et vous savez pourquoi? «On compte parmi eux de nombreux fétichistes pour qui les prix sont plus avantageux ici et qui sont plus décontractés et se moquent moins souvent d’accessoires qu’ils ne connaissent pas».

Ce qui doit certainement être exact, c’est que les Suisses font partie des clients qui ont les moyens. Je n’ai pas d’autres comparaisons internationales. Je pense toutefois qu’ici en Suisse, le nombre de gens qui veulent aborder leur sexualité plus ouvertement et veulent montrer qu’ils en sont fiers augmente. Ces personnes n’ont plus envie de vivre leur sexualité en secret ou honteusement, peu importent qu’elles soient kinky, hétéros, homos ou bisexuelles.

Jessica Sigerist à propos du sadomasochisme: «Le BDSM a malheureusement une mauvaise image au sein de la société. C’est dommage. Comme ce serait beau si ces préjugés n’existaient pas. J’espère que notre boutique permette de les contrecarrer. Oui, il existe des personnes aimant avoir des relations sexuelles dans des salles de torture, mais le BDSM est bien plus que cela». (Photo d’illustration)
Jessica Sigerist à propos du sadomasochisme: «Le BDSM a malheureusement une mauvaise image au sein de la société. C’est dommage. Comme ce serait beau si ces préjugés n’existaient pas. J’espère que notre boutique permette de les contrecarrer. Oui, il existe des personnes aimant avoir des relations sexuelles dans des salles de torture, mais le BDSM est bien plus que cela». (Photo d’illustration)
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Que vous a appris votre mère au sujet des hommes?

Oh, voilà maintenant une question pleine de clichés: les mères doivent enseigner avec obligeance certaines choses au sujet des hommes à leurs filles. Au final, mon père m’a appris bien plus sur les hommes car il m’a donné l’exemple de son genre de masculinité. Et ma mère m’a enseigné que l’on n’avait pas forcément besoin d’un homme.

Et que vous a appris votre mère sur les femmes?

Beaucoup de choses. Ma mère a été de tout temps une féministe engagée. Mes parents ont en outre toujours divisé équitablement leur salaire et le travail familial, une chose pas évidente encore de nos jours. Ils m’ont surtout appris que cela ne dépend pas du sexe que l’on a mais que chaque personne a le droit d’être et de laisser faire ce que l’on veut, peu importe qui ou ce que l’on est.

Est-ce que nous, les Suisses parlons trop peu de sexe?

Oui et non. Le sexe est omniprésent dans notre société, les publicités pour différentes plateformes de rencontre fleurissent partout actuellement. J’ai en même temps l’impression qu’on ne parle que rarement de choses vraiment intéressantes. De nombreuses personnes déclarent évidemment que «le sexe c’est génial» mais n’en parlent que fort peu concrètement. La peur d’être blessé est grande.

C’est peut-être lié à la religion et aux stéréotypes de genre dans la société?

L’histoire de la sexualité taboue remonte à plusieurs millénaires déjà. Elle se déroulait surtout dans le cadre du mariage et à des fins de reproduction. Même si la situation a radicalement changé au cours des dernières décennies et que les rencontres d’un soir et autres sont admises aujourd’hui, de nombreuses pratiques ne sont toujours pas acceptées. Vivre une relation libre est toujours considéré comme très spécial, et est même mal vu dans de nombreux endroits ...

... et cela, tout en sachant que beaucoup de gens commettent des infidélités durant leur partenariat.

Davantage de gens sont infidèles dans leur vie plutôt que de choisir de vivre une relation libre. Cette double morale énerve. Et même si de moins en moins de monde se rend à l’église, le poids des traditions religieuses est malheureusement encore toujours bien ancré dans la société.

Vous vivez une relation avec un homme mais vous avez aussi des relations sexuelles avec d’autres personnes. Quelles sont les règles en vigueur dans votre relation?

Une seule règle est indiscutable: les relations protégées, sinon un individu dans une relation polyamoureuse peut rapidement mettre de nombreuses autres personnes en danger. C’est d’ailleurs précisément l’un des problèmes majeurs avec les infidélités: Le manque de discussions franches à ce sujet peut considérablement augmenter le risque de transmission de maladies vénériennes. Un autre point très important dans notre relation est de parler de tout ouvertement. Il est de notre responsabilité commune de toujours communiquer ouvertement au sujet de ce que l’on désire ou pas.

La fidélité est-elle surestimée?

Question en retour: que définit-on comme la fidélité? Dans un partenariat ou en amitié, la fidélité dans le sens de l’honnêteté et de la loyauté est très importante à mes yeux. Mais je ne fais pas de fixation si mon partenaire a encore des relations sexuelles avec d’autres personnes.

Êtes-vous jalouse?

Les êtres vivant dans une relation libre ou polyamoureuse connaissent exactement ce sentiment. La question que je me pose cependant est de savoir comment je gère ce sentiment. Vivre dans une relation monogame ne signifie pas être à l’abri de la jalousie.

Le sexe est-il politique?

Je qualifierais notre système politique de patriarcal, reposant sur des siècles d’oppression de la sexualité féminine et queer. On peut donc comprendre tous les genres de sexe situés à l’extérieur d’une relation hétérosexuelle comme un acte politique. Il n’en demeure pas moins que la politique influence fortement notre sexualité: qui a le droit de se marier et qui non? Les lesbiennes et gays ont certes aujourd’hui le droit légal d’avoir des relations sexuelles, mais toujours pas celui de se marier.

Depuis l’ouverture de votre sex-shop, votre vie sexuelle doit avoir beaucoup souffert, a-t-on pu lire dans une interview .

La situation s’est heureusement un peu améliorée entre-temps, mais mon conseil allait aussi plutôt dans le sens que si une personne souhaite avoir beaucoup de sexe, elle ne devrait pas fonder sa propre entreprise (elle rit).

Les 10 plus grandes idées reçues sur le sexe

Le journaliste de «Bluewin» Bruno Bötschi s’adonne régulièrement à ce jeu de questions-réponses avec des célébrités dans le cadre de sa chronique «Bötschi questionne». Il dispose d'une grande expérience en matière d'entretiens. Il a écrit durant de nombreuses années la série «Traumfänger» (l'attrape-rêve) pour le magazine «Schweizer Familie». Ainsi, il a demandé à plus de 200 personnalités quels étaient leurs rêves d'enfant. Le livre compilant tous ces entretiens a été publié par Applaus Verlag à Zurich. Il est disponible en librairie.
Le journaliste de «Bluewin» Bruno Bötschi s’adonne régulièrement à ce jeu de questions-réponses avec des célébrités dans le cadre de sa chronique «Bötschi questionne». Il dispose d'une grande expérience en matière d'entretiens. Il a écrit durant de nombreuses années la série «Traumfänger» (l'attrape-rêve) pour le magazine «Schweizer Familie». Ainsi, il a demandé à plus de 200 personnalités quels étaient leurs rêves d'enfant. Le livre compilant tous ces entretiens a été publié par Applaus Verlag à Zurich. Il est disponible en librairie.
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