Sexualité La «pilule préventive» change tout pour les relations entre hommes

De Bruno Bötschi

5.7.2019

La «pilule préventive» séduit de nombreux homosexuels à Berlin, tout comme certains médecins spécialistes de la prévention. Mais en Suisse, cette méthode donne encore des maux de tête aux autorités.
La «pilule préventive» séduit de nombreux homosexuels à Berlin, tout comme certains médecins spécialistes de la prévention. Mais en Suisse, cette méthode donne encore des maux de tête aux autorités.
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Depuis l’apparition de la prophylaxie pré-exposition (PrEP), de nombreux hommes homosexuels refusent le préservatif. Néanmoins, la pilule qui prévient l’infection par le VIH ne plaît pas à tout le monde.

Thomas H. (nom modifié) est récemment parti en vacances à Tel-Aviv. L’homme de 50 ans a profité de la vie nocturne et eu plusieurs contacts sexuels avec d’autres hommes. Thomas H. est célibataire et a mené sa vie d’homme gay en suivant une règle: «Jamais sans capote.»

Il s’y est tenu pendant des années et n’a jamais contracté de grave infection bactérienne ou virale. De même, il n’a pas été contaminé par le VIH jusqu’à présent. Les préservatifs ne lui ont jamais posé de problème, même s’il savait que sans, ce serait plus agréable et plus sensuel.

Depuis deux ans, Thomas H. observe dans sa ville natale de Berlin que de plus en plus d’hommes veulent avoir des relations sexuelles «à nu», c’est-à-dire des rapports non protégés.

Une mesure fiable

Que se passe-t-il? La prophylaxie pré-exposition (PrEP) emploie des médicaments initialement développés pour le traitement du VIH. Une combinaison de substances actives, l’emtricitabine et le ténofovir, empêche le virus de se propager dans les muqueuses.

Il ne s’agit pas d’une simple affirmation, mais d’un fait scientifiquement prouvé. Daniel Koch, chef du département des maladies transmissibles à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), a déclaré dans l’«Aargauer Zeitung»: «En ce qui concerne la PrEP, nous suivons la recommandation de 2016 de la Commission fédérale pour la santé sexuelle, qui considère la prophylaxie pré-exposition comme une mesure fiable de protection contre le VIH.»

Dans le même article, Daniel Seiler, ancien directeur général de l’Aide suisse contre le sida, s’est montré encore plus concret: «L’Aide suisse contre le sida soutient une distribution suivie médicalement de la PrEP dans le cadre de la prophylaxie anti-VIH, dans la mesure où celle-ci est aussi sûre que le préservatif contre le VIH.»

Un médicament bien trop cher en Suisse

Alors qu’il y a quelques années à peine, les hommes qui avaient des rapports non protégés étaient vus d’un mauvais œil, ce sont désormais les utilisateurs du préservatif qui sont marginalisés – c’est du moins ce qu’a ressenti Thomas H.. «A peine avais-je déballé un préservatif et annoncé que je ne pratiquais que des rapports protégés que régulièrement, le partenaire perdait tout intérêt.»

Comme il souhaitait continuer d’avoir des rapports sexuels, Thomas H. a lui aussi opté pour la PrEP il y a deux ans. Depuis, il absorbe chaque jour une pilule bleue. (Image symbole)
Comme il souhaitait continuer d’avoir des rapports sexuels, Thomas H. a lui aussi opté pour la PrEP il y a deux ans. Depuis, il absorbe chaque jour une pilule bleue. (Image symbole)
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Une évolution qui ne faisait pas le bonheur de Thomas H.. Comme il souhaitait continuer d’avoir des rapports sexuels, il a lui aussi opté pour la PrEP il y a deux ans. Depuis, il absorbe chaque jour une pilule bleue.

La «pilule préventive» séduit de nombreux homosexuels à Berlin, tout comme certains médecins spécialistes de la prévention. Mais en Suisse, cette méthode donne des maux de tête aux autorités.  Alors que le coût de la PrEP en Allemagne sera bientôt supporté par les caisses d’assurance maladie, la pilule bleue n’est pas (encore) approuvée dans le cadre de la prophylaxie anti-VIH en Suisse – et elle est donc beaucoup plus chère. Une ration mensuelle coûte actuellement environ 900 francs dans notre pays, ce qui la rend trop chère pour de nombreuses personnes.

Néanmoins, le médicament peut être prescrit «off-label» par des médecins en Suisse. On estime qu’environ 2000 hommes en ont déjà fait usage.

Une bénédiction, mais pas pour tout le monde

Benjamin Hampel observe la PrEP d’un œil professionnel – mais critique. Médecin en chef au centre Checkpoint Zurich et responsable des heures de consultation relatives à la PrEP à l’hôpital universitaire de Zurich, Benjamin Hampel étudie en outre l’influence de la PrEP en Suisse dans le cadre d’un projet de recherche mené à l’échelle du pays. «Nous assistons actuellement à une augmentation significative de la demande de PrEP.» Pour certaines personnes, la pilule est un produit bénéfique voire une bénédiction, mais ce n’est pas le cas pour tout le monde, affirme-t-il.

Qui doit opter pour la PrEP? Selon Benjamin Hampel, la PrEP représente une option supplémentaire en matière de protection contre le VIH. «Les mesures existantes, notamment l’utilisation de préservatifs, sont toujours à l’ordre du jour. La PrEP s’adresse aux personnes qui rencontrent des problèmes avec l’utilisation systématique de préservatifs et qui présentent dans le même temps un risque accru d’infection par le VIH.»

Les méthodes existantes en matière de relations sexuelles protégées ne sont pas accessibles à tout le monde, précise Benjamin Hampel. Il identifie différentes causes, telles que l’allergie au latex ou les rapports sexuels sous l’influence de l’alcool ou de stupéfiants. Sur le plan statistique, le fait de tomber amoureux constitue aussi un risque.

La PrEP peut affecter les reins

Selon le médecin préventif Benjamin Hampel, ce sont surtout les effets secondaires possibles et le prix qui expliquent pourquoi de nombreuses personnes préfèrent poursuivre l’usage du préservatif après la consultation: des études montrent que le médicament peut affecter les reins et provoquer une ostéoporose. Dans ce second cas, il se produit une perte de substance osseuse.

Il y a urgence à apporter des éclaircissements, souligne-t-il. Selon une étude de l’hôpital universitaire de Zurich, 20% des adeptes de la PrEP en Suisse prennent le médicament sans surveillance médicale. «Nous devons agir contre cela de toute urgence», soutient Benjamin Hampel.

Seul un contrôle médical régulier permet de réagir à temps aux éventuels effets secondaires, affirme le médecin, qui ajoute qu’il est problématique de prendre le médicament si l’on est déjà infecté par le VIH: «Cela peut entraîner le développement d’une résistance des virus, dans la mesure où le médicament ne constitue pas un traitement complet contre le VIH.»

Aucune protection contre les autres maladies sexuellement transmissibles

Les risques pour la santé encourus malgré la PrEP, Thomas H. les a appris à ses dépens.  A peine rentré de Tel-Aviv, il souffrait d’une forte fièvre et de frissons. Il a effectué une prise de sang chez le médecin – au bout d’une journée, le résultat est tombé: il avait contracté la gonorrhée et la syphilis. Thomas H. a reçu deux injections douloureuses de pénicilline et a dû absorber des antibiotiques.

Comme beaucoup de gens, les adeptes de la PrEP s’en remettent souvent aux antibiotiques. Cependant, ceux-ci ne peuvent être utilisés que sous contrôle médical afin d’éviter tout phénomène dangereux de résistance. En Angleterre, une variante de la gonorrhée ne pouvant plus être traitée à l’aide d’antibiotiques a récemment été signalée.

Le problème est que si la PrEP se révèle efficace contre l’infection par le VIH, elle n’offre toutefois aucune protection contre les autres maladies sexuellement transmissibles telles que la syphilis, la gonorrhée ou l’hépatite C.

Cependant, souligne Benjamin Hampel, les études de grande envergure ne décèlent aucune différence entre les réponses d’utilisateurs du préservatif et de non-utilisateurs lorsque des groupes présentant le même nombre de partenaires sont examinés. La plupart des maladies sexuellement transmissibles, notamment la syphilis et la gonorrhée, sont très souvent transmises par le sexe oral. Les règles officielles du «safer sex», élaborées pour la prévention du VIH, ne recommandent pas l’usage du préservatif dans le cadre de cette pratique.

«Ces infections bactériennes peuvent même se produire lors de pratiques de masturbation mutuelle et, comme cela a été récemment prouvé, se transmettre lorsque les partenaires s’embrassent, explique Benjamin Hampel. De ce fait, en cas de partenaires sexuels changeants, il faut effectuer des tests réguliers, que l’on soit ou non sous PrEP. Malheureusement, les symptômes ne constituent pas des marqueurs fiables, car ils sont souvent absents ou atypiques.»

Les infections par le VIH reculent dans le monde entier

Les spécialistes estiment également qu’en cas de recours à la PrEP, une surveillance étroite entraîne une diminution du taux de maladies sexuellement transmissibles.

«Il y a des études qui montrent que des programmes de PrEP adéquats permettent un recul des maladies sexuellement transmissibles, dans la mesure où les individus avec de nombreux partenaires passent des tests tous les trois mois», souligne Benjamin Hampel. Dans presque toutes les régions où la PrEP est introduite dans des groupes à risque, le nombre de nouveaux diagnostics de VIH a également diminué, atteignant en partie des taux historiquement bas depuis le début de l’épidémie, ajoute-t-il.

La PrEP est-elle donc vivement préconisée aux homosexuels lors des consultations? Retour en Allemagne: «Notre objectif premier est de prévenir la transmission du virus», a déclaré au quotidien «Der Tagesspiegel» Christoph Weber, médecin en chef de Checkpoint BLN à Berlin, un centre de santé qui fournit gratuitement un accès à la PrEP aux personnes démunies. «Nous conseillons nos patients en fonction de leur situation de vie.» En réalité, explique Christoph Weber, la décision d’opter pour la PrEP n’est pas irrémédiable: nombreux sont ceux qui ne la suivent que pour un temps limité et l’abandonnent si elle ne convient plus à leur vie.

Après ses expériences à Tel-Aviv, la PrEP n’attire plus Thomas H. pour le moment – à l’avenir, il ne souhaite utiliser que des préservatifs pour ses relations sexuelles, comme avant.

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