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Bötschi questionne Philipp Plein: «Pendant le confinement, j'ai vécu chez mes parents»
De Bruno Bötschi, Lugano
15.7.2020
Philipp Plein, un homme considéré comme le roi du bling-bling, évoque Dieu et la pandémie de Covid-19, s’épanche sur Heidi Klum ainsi qu’Anna Wintour, et nous explique pourquoi il a dû passer des nuits dans un bordel.
Situé à Lugano, le bureau du créateur de mode Philipp Plein abrite des canapés de verre, de métal et de cuir, un tapis à poils longs, un écran et un grand portrait du styliste. Lorsqu'il pénètre le lieu, il irradie la pièce de sa présence. Grand, épaules plutôt larges, rayonnant. Il nous lance un: «Bonjour! Comment allez-vous?»
S’il n’était pas célèbre et si vous n’aviez pas encore lu maints articles sur lui, vous penseriez: bel homme fringant. Philipp Plein, cheveux bruns coupés à ras, pantalon de jogging blanc, tee-shirt noir sur torse musclé, montre qui attire le regard et grand sourire, nous a convié dans son bureau parce qu'il veut nous faire part de ses dernières créations: deux parfums.
Le Philipp Plein International Group est sis dans un immeuble de bureaux à proximité du lac de Lugano. C'est un bâtiment qui, contrairement à la tendance locale, semble montrer de la réserve: quatre étages, béton apparent, verre.
Monsieur Plein, nous allons jouer à un jeu de questions-réponses: je vais vous poser autant de questions que possible pendant les 30 prochaines minutes. Votre tâche est de répondre aussi rapidement et spontanément que possible. Si une question ne convient pas, il vous suffit de me dire «passe».
Pas de problème.
Thierry Mugler ou Jean-Paul Gaultier?
Je suis un fan devant l’éternel de Thierry Mugler. Quand je pense à la mode de Mugler, je pense à l'architecture. Ça me plaît.
Claudia Schiffer ou Heidi Klum?
Je suis très proche de Heidi Klum, mais je préfère Claudia Schiffer.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?
Heidi Klum est géniale. Mais quand je me penche sur la carrière de Claudia Schiffer, je dois dire qu’elle est plus impressionnante. Cependant, il faut admettre que Heidi et Claudia ont eu des carrières complètement différentes. Elles sont incomparables. Claudia était top model, alors que Heidi ne l'était pas. Sur le plan commercial, Heidi Klum s'est très bien débrouillée. Elle a su se valoriser bien mieux que nombre d’autres personnes.
A propos de Bruno Bötschi
Le journaliste de «Bluewin» Bruno Bötschi s’adonne régulièrement à ce jeu de questions-réponses avec des célébrités dans le cadre de sa chronique «Bötschi questionne». Il dispose d'une grande expérience en matière d'entretiens. Depuis de nombreuses années, il écrit pour le magazine «Schweizer Familie» la série «Traumfänger» (l'attrape-rêve). Ainsi, il a demandé à plus de 200 personnalités quels étaient leurs rêves d'enfant. Le livre compilant tous ces entretiens a été publié par Applaus Verlag à Zurich. Il est disponible en librairie.
Au lit: pyjama, tee-shirt ou rien?
Rien.
Avez-vous déjà inventé quelque chose au fond de votre lit?
J'ai déjà vécu et découvert beaucoup de choses au lit, mais je ne sais pas si j'en étais l’inventeur (rires).
Café, douche froide ou autre astuce pour se réveiller rapidement le matin?
Douche froide.
Se regarder dans le miroir fait-il toujours du bien?
Miroir, miroir, dis moi qui est le plus beau de tout le pays?
Combien de temps passez-vous dans la salle de bains le matin?
Depuis que je porte les cheveux très courts, sept à huit minutes tout au plus, douche comprise.
Le créateur de mode Tom Ford affirme qu'il se passe de déodorant. Il l’a remplacé par du parfum. En outre, il prend trois bains par jour pour se détendre. Quelle est votre routine beauté?
J'aime aussi prendre des bains, mais je n'ai pas le temps de le faire trois fois par jour. Beaucoup semblent penser que je suis un maximaliste. Mais en matière de soins et de beauté, je suis minimaliste. Les produits de ce genre ne m’attirent pas vraiment.
Pourquoi?
À 16 ans, j’avais le visage couvert d’acné. J'en ai beaucoup souffert, jusqu'au jour où je n'ai plus voulu utiliser de crèmes. J'ai développé une phobie à leur égard. Depuis, je ne supporte pas que l’on veuille toucher mon visage ou y passer de la crème.
L'école vous a-t-elle vraiment transmis quelque chose de pertinent?
À l’école, on apprend à écrire et à faire du calcul, mais trop peu sur la vie.
Vous étiez à l’internat?
Un internat ressemble à un atelier protégé. Je vivais au sein d’un monde idéal. C'était fantastique, mais les règles en vigueur dans les internats ne sont guère applicables au monde extérieur. Beaucoup de camarades s’en sont retrouvés brisés. Ils comptaient parmi les meilleurs élèves et jouissait d’une grande popularité, mais plus tard, une fois adultes, la barre trop haute.
Le «New York Times» vous qualifie de «King of Bling», le «FAZ» de «German Versace»: comment vous décririez-vous en deux, trois mots maximum?
Pape des paillettes.
Sérieusement?
Non, je plaisante. Je suis un maximaliste assorti d’un rêveur. Un rêveur qui croit en ses rêves, jusqu'à ce qu'ils se deviennent réalité.
Un attrape-rêves.
Un attrape-rêves. Je suis convaincu que le succès que nous avons rencontré résulte de mon incarnation de la marque au jour le jour. Les clients apprécient cette approche. De nos jours, de nombreuses marques de mode sont dépourvues d’authenticité. C'est à imputer au fait que de nombreuses entreprises ne sont plus menées comme elles l'étaient auparavant.
Que voulez-vous dire par là?
Par le passé, le créateur était l'âme de l'entreprise. Aujourd'hui, les marques dont le fondateur est encore à bord ou à la barre sont quasi inexistantes. Désormais, la plupart des entreprises du secteur de la mode sont gérées comme des corporations lambda. Ce constat s’impose également lorsque l’on voit à quelle vitesse les créateurs changent. C'est comme le mercato du football. Un designer est embauché, puis travaille trois ou quatre saisons. Si les ventes suivent, le contrat est prolongé, sinon le créateur est mis à la porte. Pour moi, c'est comparable à la prostitution, une prostitution créative.
Pouvez-vous nous en dire plus?
Vous achetez une personne, vous en extirpez sa créativité, et le moment venu, quand le citron n'a plus de jus, vous la remplacez.
Nous nous rencontrons aujourd'hui parce que vous avez lancé un parfum pour hommes baptisé No Limit$. Quel était votre parfum préféré quand vous aviez 20 ans?
Acqua di Gio de Giorgio Armani. C'était le parfum de ma mère. Au passage, saviez-vous que Alberto Morillas a créé Acqua di Gio...
...le même homme qui a créé votre nouvelle fragrance, No Limit$?
Le hasard fait merveilleusement bien les choses, n'est-ce pas?
Absolument. Quel était votre parfum préféré à 30 ans?
Gucci Nobilis. Malheureusement, ce parfum est désormais indisponible. J’étais un client fidèle et l’arrêt de la production m’a attristé. J'ai beaucoup aimé «Joop» de Wolfgang Joop et «Cool Water» de Davidoff.
Votre fragrance favorite juste avant de lancer votre premier parfum, «The $kull», l'année dernière?
Il y a quelques années, ma sœur m'a offert un assortiment de parfums Tom Ford, à l’occasion de Noël. Je ne pense pas que cette série de parfums soit disponible dans un magasin classique. J’avais pour habitude de mélanger ces parfums entre eux, ce qui a toujours plu à mes amis.
Le crâne est le symbole de votre maison, pourquoi?
C'est une histoire longue, mais banale. Voulez-vous vraiment l'entendre?
Avec plaisir, si vous êtes en mesure de la raconter de la manière la plus succincte possible.
J’ai créé ma première entreprise dans le secteur du meuble. Alors que j’exposais au salon Maison&Objet à Paris, le représentant de Swarovski est venu me trouver. Il voulait me vendre des cristaux de sa série «Home Elements», mais je n'en avais cure. Par la suite, il m'a rendu visite à Munich, à l’improviste, comme le font typiquement les vendeurs. Au début, je n'ai pas daigné lui témoigner de l'intérêt, puis je me suis laissé tenter et ai lancé une collection de coussins rehaussés de cristaux Swarovski. Personne ne produisait de coussins décoratifs à l'époque. L'oreiller qui caracolait en tête des ventes présentait une broderie d’un crâne Swarovski.
Quelle a été l'étape suivante?
Plus tard, j'ai conçu un portemanteau minimaliste entièrement fait d’acier inoxydable. Ma soeur, alors âgée de 10 ou 11 ans, aimait porter des vestes militaires d'époque. À un moment donné, pendant un salon, il m’est venu l'idée d’accrocher certaines de ses vestes au portemanteau sur le stand, afin qu’il n’ait pas l’air trop vide. Pour que les vestes attirent l’attention, j'ai brodé un crâne Swarovski dans le dos, selon la devise: ce qui brille attire le regard.
Le chaland a-t-il été appâté?
Presque tous les visiteurs de la foire ont réclamé ces vestes, c’est la vérité pure et dure. Peu importe l’âge, le genre ou l’orientation sexuelle. Tout le monde les trouvait géniales. À la base, je n'avais pas l'intention de les vendre. Dès le deuxième jour, elle partaient comme des petits pains.
J'ai entendu dire qu'elles se vendaient 700 euros.
Véridique.
On dit que vous avez alors pris conscience que les vêtements pouvaient générer plus de revenus que les meubles.
Après cela, ce fut un véritable tourbillon. La veste brodée d’une tête de mort m’a permis de gagner deux millions d'euros en l’espace d’un an, ce qui équivaut à beaucoup d'argent pour un jeune entrepreneur. Simultanément, la tête de mort est devenue la figure de proue de ma firme.
Et les coups durs, sont-ils utiles?
Cela fait partie de la vie. Il faut parfois chuter pour se relever, mais il faut aussi savoir parfois jouer des coudes. Si vous ne subissez jamais de coup dur, vous n’apprendrez rien.
Votre dernier coup dur?
Cela se produit régulièrement. Cela signifie que vous testez vos limites ainsi que celles des autres. C’est évidemment toujours synonyme d’ennuis. Bien sûr, si vous restez passif, vous ne serez jamais exposé au danger, mais cela n'a jamais été ma façon de faire.
Qu'est-ce que vous avez contre le fait de «ne rien faire»?
Rien. Au cours des dernières semaines, j'ai souvent dû m'asseoir et patienter.
En raison de la pandémie de Covid-19.
Oui. Ces derniers mois m'ont permis de poser un regard neuf sur le monde. Si des années durant, vous répétez les mêmes choses et vous collaborez toujours avec les mêmes personnes, c’est comme si vous enfiliez des œillères. Vous n’avez même plus conscience de ce qui se passe à droite et à gauche. C’est un poncif, mais ces derniers temps, j'ai beaucoup réfléchi au sens de la vie.
Pourriez-vous apporter plus de précisions?
Quand j’ai débarqué à Manhattan, New York, j'étais au cœur de l’action. Toutefois, je me sentais perdu au milieu des canyons entre les immeubles. Par la suite, j'ai survolé Manhattan en hélicoptère et j'ai vu les maisons et les rues d'en haut. C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte d’une chose: de l'extérieur, on a une bien meilleure vue d'ensemble.
La pandémie a-t-elle changé votre vision de la vie?
Oui, j'ai pris conscience que ces dernières années ont quasiment été celles d’un hamster, courant dans une petite roue. Je me levais le matin et je courais. Je n'avais que peu de temps à consacrer à autre chose que mes affaires.
Vous vivez au Tessin depuis plus de 15 ans, où se trouve le siège de votre entreprise. Où avez-vous passé le confinement?
Je n'ai pas de famille au Tessin, par conséquent j'ai passé beaucoup de temps en Allemagne. En compagnie de ma petite amie, ma sœur et son mari, nous avons vécu pas mal de temps chez nos parents. Mes parents se sont installés à la campagne il y a huit ans. D’ailleurs, je ne leur avais jamais rendu visite. Ils venaient souvent me voir, mais ce n’était pas réciproque.
Que penserait le Philipp Plein de 15 ans de celui d’aujourd’hui?
Je pense avoir accompli tout ce que je pouvais imaginer à 15 ans. Adolescent, j'étais pétri de rêves. Ces dernières années, j'ai atteint bien de ces objectifs. Une personne qui ne rêve pas manquera de motivation pour se lever le matin et mener sa journée à bien. Les rêves sont un élixir de vie. Néanmoins, comme toute chose, les rêves ont ont des zones d’ombres.
Comment cela?
Un homme rêve d'escalader le mont Everest. Il se prépare méticuleusement pour l'expédition pendant des années, jusqu'au jour où il atteint le sommet. Peu après, l'homme se rendra compte qu’il a saccagé son rêve. Les rêves qui se réalisent n’en sont plus. Souvent, une telle situation nous amène à découvrir que la beauté du rêve dépassait celle de la réalité. L’imagination sublime. Tout est mieux, plus fou et plus glamour. En d’autres termes, c’est le chemin qui prime sur la destination.
La même chose s’applique-t-elle pour vos parfums?
Je dois me montrer honnête. Et là, je ne parle pas pour brasser du vent ou dire des inepties: mes deux parfums ont rencontré davantage de succès que j’imaginais. J'aime les parfums, mais je ne suis pas un spécialiste. J'avais une équipe formidable autour de moi qui m'a aidé à réaliser mon rêve. Dans un premier temps, je voudrais mentionner le parfumeur Alberto Morillas. Je ne le connaissais pas. Je ne savais même pas qu'il était le créateur d’«Acqua di Gio», mon ancien parfum préféré. Je n’avais pas non plus conscience qu'il avait créé «CK One», le tout premier parfum unisexe. Je suppose que vous connaissez aussi CK One, n'est-ce pas?
Oui.
Je trouve ça vraiment super. Par ailleurs, je suis fier de ce qu'Alberto Morillas a fait du parfum «The $kull», de son interprétation de cette fragrance. C'est précisément ainsi que j'imagine la marque Philipp Plein: élégante et intemporelle. En outre, quel que soit l’angle sous lequel vous regardez la bouteille, le crâne en trois dimensions sera visible. J'ai déjà mentionné mon amour pour l’architecture.
Selon un communiqué de presse, «No Limit$», votre nouveau parfum, célèbre «un style de vie excessif, hédoniste, sans limites et excitant». N’est-ce pas hors de propos en raison des limites imposées dans le cadre de la pandémie?
Vous avez naturellement raison. Mais comme je l'ai précédemment mentionné, je suis intimement persuadé que la pandémie de Covid-19 est l’occasion pour nous de repenser nos vies. Malheureusement, j'ai remarqué ces derniers jours que beaucoup perdent de vue la gravité de la situation actuelle.
Pensez-vous que la société se montre trop négligente au vu de la pandémie?
Il est effrayant de constater la négligence avec laquelle certaines personnes se comportent. Le virus est toujours présent. La seule chose qui a changé, c'est que nous pouvons désormais retourner au travail. En effet, nos gouvernements estiment que les dégâts seraient plus graves si nous restions chez nous. Ces dernières semaines et mois, nous sommes passés par des expériences semblables à celles de films hollywoodiens. Nous n’avions jamais été effleurés par l’idée que tout cela puisse réellement se produire. Néanmoins, l’impensable est arrivé. D’ailleurs, je pensais que l'humanité témoignerait d’un peu plus de respect à l’égard d’un tel événement..
Que faites-vous concrètement pour combattre le virus?
Quand je fais mes courses au supermarché et qu'il y a beaucoup de monde, je porte un masque. J'essaie également de protéger mes employés du virus autant que faire se peut. Nous avons instauré des mesures de sécurité. Ainsi, la moitié de notre équipe travaille à domicile. Soit dit en passant, je n’étais pas un partisan du confinement. Je pense qu’avec davantage de tact, nous aurions pu mieux gérer la situation. En outre, je ne comprends pas cette réouverture intégrale et subite. J'ai l'impression que nous passons d'un extrême à l'autre.
Changement de sujet: en tant que jeune créateur de mode, n'avez-vous pas rêvé un jour de marcher dans les pas de Karl Lagerfeld?
Karl Lagerfeld est l'un de mes modèles, et ceux-ci sont rares! Je suis fasciné par la façon dont il s'est ancré dans l'industrie de la mode et dont il est devenu, plus tard, une référence internationale. Très peu de créateurs ont réussi sans lancer leur propre marque. C’est évidemment enviable. Néanmoins, j'ai moi-même choisi une approche différente. Tout a commencé par le simple fait que je ne souhaitais pas devenir créateur de mode.
Jeune homme, que vouliez-vous devenir?
Je voulais être homme d'affaires et réussir en tant qu'entrepreneur. Dans quel secteur exactement? À l’époque, je ne le savais pas.
Quelle création a suivi la veste militaire avec le crâne Swarovski?
Un sac en cuir (rires). Vous savez, ma vie est rythmée par la devise «l’apprentissage se fait par la pratique». C'est l'une des raisons pour lesquelles je suis toujours considéré comme un outsider dans le monde de la mode. Je n'ai pas suivi le parcours classique. Au sein du secteur de la mode, tout le monde se connaît. Les stylistes, les mannequins et les journalistes. Moi, en revanche, c’est le hasard qui m’y a porté, sans y être invité. Au passage, je n’ai d’ailleurs même pas quémandé une invitation. Cette situation m’est familière, et ce depuis mon enfance. J'ai déménagé avec mes parents au moins six fois, ainsi étais-je toujours «le nouveau» à l'école.
Cela vous a-t-il immunisé contre les critiques?
Je mène tout simplement ma propre barque et n'ai aucune intention de vraiment appartenir à ce monde. Il est possible que j’en subisse des conséquences négatives, mais je ne veux pas faire de petits arrangements, comme le font la plupart des acteurs du secteur. J'ai souvent dit et fait des choses peu appréciées.
Que vous apporte le succès au sein du monde de la mode?
Le succès ne m'a pas changé. Je viens d'une famille aisée: mon père était médecin. Toutefois, mes parents ne m'ont pas soutenu au début de ma carrière professionnelle.
Pourquoi?
Ils auraient souhaité que je mène à bien mes études avant de penser au gain financier. Désormais, je comprends leur réticence. Mais à l'époque, d'autres objectifs m’animaient. Après avoir abandonné mes études de droit, j’ai commencé à concevoir des meubles et des lits pour chiens, pour ensuite les vendre dans des foires. Mes parents n'approuvaient pas, mais m'ont laissé faire. Je suppose qu'ils pensaient qu'après les premiers échecs, je reviendrais toquer à leur porte.
Et vous y avez toqué, à cette porte?
Bien que je n'aie pas rencontré le succès en affaires d’emblée, j'étais trop fier pour revenir chez mes parents. Au lieu de cela, je me suis battu et ai emprunté de l'argent à ma petite amie de l'époque. Une fois, lors du Salon du meuble de Milan, nous avons dû séjourner plusieurs jours dans un bordel. Je n'avais pas assez d'argent pour réserver une chambre d'hôtel classique. Nous devions débarrasser le plancher tous les matins car les chambres étaient louées à l'heure tout au long de la journée.
Que pensent vos parents de votre carrière actuelle?
Je pense qu'ils sont fiers de mes accomplissements.
Estimez-vous que les influenceurs soient passionnants?
Seuls les influenceurs uniques sont passionnants. Par là j’entends: ceux qui disposent d’un talent que les autres n’ont pas.
Quels influenceurs et quel blogs de mode recommanderiez-vous? Pour quelle raison?
Je suis plutôt un homme qui aime lire des faits et apprécie donc la lecture du «FAZ».
Qu’est-ce qu’Anna Wintour, la patronne de Vogue, a de plus que les autres?
Anna Wintour est complètement «overrated». J'ai été l'un des premiers à le dire et je suis certain que je ne serai pas le dernier. Cette époque est bientôt révolue. Wintour et cie sont comparables aux dinosaures: ils n’existent plus depuis belle lurette. Mais l’empreinte que ces personnes ont laissée est considérable. Anna Wintour a été installée sur le trône de la mode et y siègera désormais jusqu’à la fin de ses jours. Toutefois, je suis convaincu que l’avenir nous réserve une démocratie plutôt qu’une monarchie au sein du monde de la mode.
Le diable porte-t-il du Prada ou du Plein?
Dans le film, du Prada, en réalité du Plein.
Et Dieu?
Probablement une robe divine.
Qui ne devrait pas porter vos créations?
Je suis une personne très libérale, tout le monde peut porter mes vêtements.
Portez-vous uniquement vos créations ou portez-vous également des pièces d'autres maisons?
Pour l’instant, je ne porte que du Philipp Plein. Je crée la mode que j’aime.
Quel vêtement doit avoir sa place dans le dressing de chaque femme?
En matière de cool, la veste en cuir surpasse la robe. Une robe, doit toujours être adaptée à la situation. Il arrive fréquemment qu’une femme achète une robe et ne la porte qu’une fois. La veste en cuir, quant à elle, est bien plus polyvalente.
Quel vêtement doit avoir sa place dans le dressing de chaque homme?
Une veste en cuir.
Quel est le vêtement le plus laid de votre dressing?
Les vêtements laids n’ont pas droit de cité dans mon armoire.
Le plus beau compliment sur vos tatouages?
Quelqu’un a joliment complimenté le nom de mon fils tatoué dans mon dos.
Vous avez fait tatouer votre propre nom sur votre avant-bras gauche...
... un tatouage réalisé il y a 20 ans.
Pourquoi?
Des années durant, j’ai voulu me faire tatouer, mais mon père ne m’a jamais donné l’autorisation. Jeune entrepreneur, je me suis rendu à une foire aux États-Unis peu après avoir quitté la faculté de droit. Pour marquer ce nouveau départ, je me suis fait tatouer nom et prénom sur l’avant-bras droit.
Un soupçon d’arrogance?
J’avais décidé de montrer que je n’allais m’arrêter à rien pour ma marque. À l’époque, Philipp Plein n’en était même pas une. Seules quelques personnes connaissaient mon nom. Chaque jour, ce tatouage me rappelle cette décision. C'est en quelque sorte un monument personnel. Quoi qu'il arrive, je dois persévérer.
Croyez-vous au destin?
Non. Je crois que nous, humains, sommes responsables de tout ce qui se passe dans notre environnement. Naturellement, il y a des situations hors de notre contrôle, notamment notre santé. Ainsi, si quelqu'un contracte une malade, ce n'est pas la faute du destin. Dans la plupart des cas, les humains ne peuvent pas s’empêcher de tomber malade.
Croyez-vous en Dieu?
Oui, je prie tous les jours. J'étais même enfant de choeur. Pendant les heures de cours, j'allais à l'église deux fois par semaine à 6 heures du matin pour participer à la messe. J'étais un enfant de chœur très actif qui a grandi dans une atmosphère plutôt religieuse.
Vous allez à l'église dans le Tessin?
Malheureusement, je ne parle pas italien, donc je ne m’y rends pas. Je n'aime pas aller à l'église et ne pas comprendre le prêche. Mais j’y vais régulièrement pour prier. Par ailleurs, c’est ce que je fais à Los Angeles, où je possède également une demeure. Je pense que les religions sont fantastiques. Ma sœur s'est convertie au judaïsme avant son mariage. C'était merveilleux de voir l'enthousiasme qui l’a animée tout au long de sa préparation.
La mort vous effraie-t-elle?
Je n’en sais rien. En tout cas, je ne veux pas mourir aujourd'hui.
Désirez-vous l’immortalité?
Je ne sais pas. Mais j'aimerais vivre plus longtemps, car j'ai tant de projets, tant de choses à accomplir. Auparavant, vous naissiez dans une ville, et le plus souvent, vous y mourrez également. Aujourd'hui, nous vivons à l’heure de la mondialisation. En à peine quelques heures, je peux me rendre aux antipodes en avion. En même temps, le temps s’écoule si vite, car nous sommes si occupés. Parfois, je me réveille et pense: oups, j'ai déjà 42 ans, mais dans ma tête, je n’ai que 16 ou 17 ans..
Il semble que vous n’êtes pas encore habitué à vieillir.
Probablement. Récemment, quelqu'un m'a demandé mon âge, j'ai dû prendre un instant de réflexion (rires).
Imaginez-vous un jour opter pour l'euthanasie?
Elle peut avoir un sens, mais il est crucial que la démarche fasse l’objet d’une réflexion en profondeur. Pour ma part, je ne peux l'imaginer aujourd'hui. Mais qui sait ce que j’en penserai quand je serai vieux.
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