Voyage La folie matcha sauvera-t-elle le thé japonais?

Relaxnews

28.8.2019 - 13:18

Glaces, pâtisseries, chocolat au matcha: cette poudre de thé d'un vert lumineux régale pupilles et papilles au Japon et à l'étranger, nouveau filon des marchands nippons qui cherchent par tous les moyens à stopper le déclin de la consommation de thé.

Dans une boutique de thé de Shizuoka, première province productrice du pays, les clients se pressent davantage autour du bac composé de sept glaces au matcha, dont le vert change de couleur selon l'amertume du parfum, qu'ils ne viennent pour déguster du thé.

«Le nombre de buveurs réguliers de thé diminue», explique Shigehiko Suzuki, patron de la compagnie Marushichi Seicha qui exploite plusieurs magasins dans l'archipel.

«La demande de matcha est en forte expansion...»

Parti de ce constat, cet entrepreneur de 55 ans a démarré une activité de thé «matcha» il y a 20 ans, qui a rapidement fait mouche, avant de se lancer il y a neuf ans dans les glaces au matcha, en proposant sept niveaux différents d'amertume.

«La demande de matcha est en forte expansion, en particulier en Asie et aux Etats-Unis, pour la glace, les desserts et le café», se réjouit-il.

L'an dernier, le Japon a exporté plus de 5.000 tonnes de thé vert (tous types confondus), dix fois plus qu'il y a deux décennies. L'Europe compte aussi parmi les destinations.

Au fil des ans, la compétition autour du matcha s'est intensifiée un peu partout dans le monde. «Le Japon n'est plus le seul» à en produire, et «le matcha ne pourra pas sauver tous les producteurs» de thé japonais, admet M. Suzuki.

Matcha et Sencha

A quelques kilomètres de là, un couple de paysans coiffés d'un fichu blanc ramassent les feuilles de thé dans un champ.

Dans l'usine à proximité, flotte l'odeur de grillé de fines feuilles s'envolant sous le souffle de l'air chaud. Séchées dans un four, elles sont ensuite triées et broyées en une fine poudre, le fameux matcha.

«Nous avons décidé de nous convertir au matcha parce que cela rapporte plus», raconte Yoshio Shoji, 67 ans et agriculteur depuis 50 ans.

Le matcha est vendu deux fois plus cher que le sencha, le thé vert en feuilles le plus répandu au Japon.

Historiquement, le Japon a découvert le thé au début du 9e siècle. En provenance de Chine, il était à l'époque utilisé pour ses vertus médicales. Ce n'est qu'au 16e siècle que le matcha fut développé à Kyoto, indissociable de la cérémonie du thé mise au point par le maître Sen no Rikyu.

Le sencha, lui, ne sera inventé que deux siècles plus tard. Il représente aujourd'hui plus de la moitié des 80 000 tonnes de thé produites au Japon par an, tandis que le thé servant à la fabrication du matcha, bien qu'en essor, dépasse à peine les 3%.

«Les paysans pleurent»

«C'est partout 'matcha, matcha' ! Les Japonais vendent à l'étranger kimonos et cérémonie du thé», au cours de laquelle on émulsionne le matcha dans l'eau chaude à l'aide d'un petit fouet en bambou, «c'est le côté culturel, mais pendant ce temps-là les paysans pleurent», déplore Stéphane Danton, marchand français de thé, installé de longue date au Japon.

De fait, le nombre d'exploitations de thé a été quasiment divisé par trois entre 2000 et 2015.

Mais pour M. Danton, les thés japonais ont de l'avenir: «Le potentiel du thé japonais est devant nous, pas derrière», dit-il. Et ceux qui misent tout sur le matcha «se sont plantés de ligne marketing», selon lui.

Pour séduire des palais occidentaux ou asiatiques pas habitués à l'amertume de certains thés japonais, il propose dans son magasin Ochakara, au coeur de Tokyo, une multitude de parfums dont il fait humer l'odeur, de la prune au cola ou à la mangue, en passant par le «yomogi» (armoise), qui évoque la Provence après la pluie.

Ces variations ne sont pas du goût des Japonais, plus orthodoxes, mais attirent des touristes, barmen et pâtissiers, assure cet ancien sommelier, qui aime servir le thé dans un verre à pied, à déguster frais.

«Redécouvrir»

Dépoussiérer l'image du thé, délaissé par les jeunes générations, c'est aussi l'objectif de ces boutiques à thé qui essaiment dans Tokyo sur la mode des «coffee shops», dans l'espoir de gommer l'image «démodée» du thé, de le rendre «plus cool», explique Mikito Tanimoto, directeur créatif qui a ouvert il y a deux ans un de ces établissements branchés.

Murs d'un blanc immaculé, tabourets hauts et comptoir entourant la «barista» du salon: ici les clients prennent leur temps, savourant diverses variétés de thé infusé sous leurs yeux parmi les 43 proposés.

Remisés, les tables basses et tatamis : «il est important d'imaginer de nouvelles manières de présenter le thé pour permettre aux gens de redécouvrir sa valeur», souligne Yuka Ihara.

Elle officiait dans un bar à whisky avant de rejoindre cet antre du thé, moins protocolaire que la cérémonie traditionnelle mais plus raffiné que les bouteilles en plastique vendues dans les supérettes et distributeurs.

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