C’est la dernière fenêtre de tir. Le tournoi de la dernière chance. Emmenée par son Champion du monde M17 de 2009 et capitaine Granit Xhaka, la génération dorée du football suisse abat son ultime carte lors de l’Euro 2024 qu’elle entamera samedi à Cologne face à la Hongrie.
Huitième de finaliste des Coupes du monde 2014, 2018 et 2022, quart de finaliste de l’Euro 2021 et huitième de finaliste de l’Euro 2016, la Suisse de Xhaka, mais aussi de Xherdan Shaqiri, bien sûr, de Ricardo Rodriguez et de Fabian Schär jouera une sorte de quitte ou double. C’est cet été en Allemagne qu’elle peut réussir quelque chose de très grand, plus grand encore que sa victoire sur la France en huitième de finale de l’Euro 2021.
Elle ne peut, en effet, pas raisonnablement se projeter sur la Coupe du monde 2026. Xhaka et Rodriguez approcheront alors leurs 34 ans et Shaqiri ses 35 ans. Et une qualification pour la phase finale d’une Coupe du monde sera toujours aussi ardue à obtenir. Que se serait-il passé si Ricardo Rodriguez n’avait pas suppléé Yann Sommer sur la ligne à Bâle lors du barrage retour contre l’Irlande du Nord en 2017 ou si Jorginho n’avait pas raté deux penalties pour l’Italie lors de la double confrontation contre la Suisse en 2021?
Le ciel comme seule limite
Après sa saison magnifique avec Leverkusen, Granit Xhaka affirme que le ciel est sa seule limite. Le jeune homme de 19 ans qui avait bousculé le vestiaire du Borussia Mönchengladbach en voulant transmettre sa mentalité de battant à une équipe qu'il trouvait timorée est aujourd’hui à 31 ans l’un des joueurs qui compte vraiment dans le concert international. Lui le Champion d’Allemagne, il compte sur Yann Sommer, le Champion d’Italie, et Manuel Akanji, le Champion d’Angleterre, pour amener l'équipe de Suisse sur le toit de l'Europe.
Une telle ambition semble démesurée. Sur le papier, l’Angleterre, la France, l’Espagne, le Portugal, l’Italie et bien sûr l’Allemagne, que la Suisse défiera le 23 juin à Francfort lors de son ultime match en phase de poules, présentent bien d’autres arguments.
Un attaquant de classe mondiale pour l’Angleterre en la personne de Harry Kane, le meilleur joueur du monde pour la France avec Kylian Mbappé, des individualités de grande valeur pour le Portugal dans le sillage de l’éternel Cristiano Ronaldo, un collectif affirmé pour l’Espagne, cette touche de mystère qui fait tout le charme de l’Italie, tenante du titre, et enfin le soutien de tout en pays pour l’Allemagne de Julian Nagelsmann qui peut vraiment renaître de ses cendres. Tout, oui tout, indique que les belles histoires de cet Euro 2024 s’écriront sans que l’équipe de Suisse n’y figure.
Mais l’histoire rappelle que le football peut échapper parfois à toute logique. Il y a vingt ans, qui aurait misé, à l’exception d’un illuminé, un seul centime sur la victoire de la Grèce à l’Euro 2004 ? Plus près de nous, qui aurait imaginé un seul instant une équipe galvauder trois balles de match dans une séance de tirs au but en finale de la Coupe de Suisse ? Oui, Granit Xhaka, lui qui fut cette saison le régulateur d’une équipe qui n’a perdu qu’un seul des cinquante-trois matches qu’elle a livrés, a raison de croire la Suisse capable de renverser la table lors de cet Euro.
Cologne dix-huit ans après...
Les deux premiers matches donneront le ton. Si elle bat la Hongrie et l’Ecosse à Cologne dans un stade où elle avait traversé il y a dix-huit ans l’une des soirées les plus sombres de son histoire en raison d’une tragique erreur de coaching – le remplacement d’Alex Frei quelques minutes seulement avant la séance de tirs au but contre l’Ukraine –, la Suisse aura assuré sa qualification pour les huitièmes de finale.
Elle provoquera, surtout, un engouement unique dans tout le pays avant le troisième match contre l’Allemagne. Les joueurs qui avaient été sifflés au Parc St-Jacques en novembre dernier au soir du 1-1 contre le Kosovo synonyme pourtant de qualification pour cet Euro, seront à nouveau nos héros. Capables de tous les exploits.
Décrié après le naufrage contre le Portugal en 2022 et après le tour préliminaire de cet Euro, Murat Yakin peut redevenir cet entraîneur capable d’éliminer, sans Granit Xhaka s’il vous plaît, l’Italie dans la course à la qualification pour la Coupe du monde. En décembre dernier, il a su convaincre ses dirigeants qu’il demeurait l’homme de la situation malgré tous les vents contraires. Il a pu obtenir le concours d’un proche – Giorgio Contini – comme son no 2 alors que l’idée était plutôt de lui associer un homme d'envergure – Stephan Lichtsteiner (?) ou Miroslav Klose (?) – pour mieux le canaliser.
Il a eu, enfin, l’intelligence d’adopter un système de jeu analogue à celui du Bayer Leverkusen pour placer Granit Xhaka dans les meilleures conditions. Les deux hommes ont mis du temps avant de s'accorder pour une sorte de paix des braves après des querelles presque enfantines. Et au vu de la première mi-temps de samedi contre l’Autriche au cours de laquelle il fut vraiment brillant, on se dit que remettre toutes les clés du camion à Granit Xhaka n’est, de loin, pas une mauvaise idée. Au capitaine désormais de jouer. De tracer la voie. De saisir pleinement cette dernière chance.