Challandes "En tant que personne à risque, j'essaie de faire la part des choses"

Chris Geiger

30.3.2020

A la tête du Kosovo, Bernard Challandes aurait dû disputer jeudi dernier les demi-finales des barrages de l'Euro face à la Macédoine du Nord. En cas de victoire, la jeune sélection aurait ensuite affronté ce lundi le vainqueur du duel entre la Géorgie et le Bélarus.

Ces chocs ont toutefois été renvoyés en raison de la pandémie de coronavirus et devraient finalement se dérouler en juin. Une situation floue que le technicien neuchâtelois nous explique. Interview.

Bernard Challandes (68 ans) est également consultant sur Teleclub.
Bernard Challandes (68 ans) est également consultant sur Teleclub.
Keystone

Bernard Challandes, les barrages de l'Euro que vous deviez disputer avec le Kosovo ont été annulés. Comment avez-vous accueilli la nouvelle?

"C'était dans l'air. Il y a eu plusieurs matches de clubs qui se sont disputés à huis-clos ou qui ont été renvoyés. Dès lors, on avait conscience que la situation allait empirer. Même si la réponse de l'UEFA s'est faite attendre, il était clair, dans ma tête, qu'on n'allait pas jouer. Quand le report d'une année de l'Euro a été officialisé par l'UEFA, il était évident qu'on ne disputerait pas ces rencontres. On s'était toutefois bien rendu compte qu'il ne serait pas possible de jouer dès que la crise liée au coronavirus a commencé et que le confinement a été acté. Je m'étais fait très vite à cette idée. Ce n'était donc pas un problème."

Au vu de l'énorme enjeu sportif, ces renvois ont-ils été compliqués à accepter?

"Personne n'a contesté cette décision car elle a été prise dans la logique des choses. C'était même un soulagement car le maintien de ces barrages aurait posé problème. Par exemple, certains clubs italiens où évoluent mes joueurs ont très rapidement dit qu'ils ne comptaient pas les libérer lors de la trêve dédiée aux équipes nationales. La priorité et les pensées des joueurs ou du staff n'auraient peut-être aussi pas été complètement focalisées dans ces barrages. Ces derniers se seraient en plus joués à huis-clos, ce qui aurait été regrettable pour le pays et les supporters."

Il y avait également le risque d'affronter le Bélarus en finale des barrages, un pays où le football n'est toujours pas à l'arrêt. L'équité sportive n'aurait pas vraiment été respectée, non?

"Il y aurait certainement eu ce genre de problèmes puisque certains pays ont effectivement continué à jouer. Pour notre demi-finale, la Macédoine du Nord était toutefois dans la même situation que nous. Etant donné que certains de leurs joueurs évoluent aussi en Italie ou en Espagne, la Fédération ne voulait pas jouer. A la base, l'organisation de ces barrages était déjà très compliquée car il ne s'agissait pas d'un Final Four. On ne savait dès lors pas où on allait disputer le deuxième match en cas de qualification. Le vrai problème aurait toutefois été de penser à autre chose qu'au football. Les stratégies tactiques ou l'aspect mental n'auraient ainsi pas été abordés dans d'excellentes conditions. Il aurait ainsi été dommage que ces matches se jouent n'importe comment."

L'UEFA a communiqué que ces barrages allaient finalement se disputer début juin lors de la fenêtre internationale. Est-ce utopique?

"Pour moi, il y a de grands points d'interrogation. Jusqu'à quand le confinement dans certains pays va durer? Combien de temps faudra-t-il aux joueurs pour être à nouveau dans le coup? Est-ce que les clubs vont libérer leurs joueurs si les championnats se poursuivent en juin? Cette dernière interrogation est une vraie problématique car seules 16 nations sont concernées par ces barrages. Je ne vois pas les autres pays déjà qualifiés disputer des matches amicaux lors de cette période alors qu'il manque des dates au calendrier pour finir les championnats. Ces derniers pourraient ainsi demander de supprimer la pause internationale afin de terminer la saison."

Quelles étaient et quelles seront vos ambitions et vos attentes pour ces barrages?

"Il était et il est toujours réalisable de se qualifier. L'équipe tient la route et est du niveau de la Macédoine du Nord et des autres adversaires qui nous sont proposés. Cela va se jouer sur la forme du jour, sur le fait de ne pas avoir de joueurs importants blessés et de pouvoir compter sur un peu de chance. La qualification dépendra un peu de tous ces facteurs. Fondamentalement, au niveau du potentiel de l'équipe et des adversaires, c'est vraiment jouable. Il y a toutefois le gros désavantage d'évoluer à l'extérieur tant pour la demi-finale que pour l'éventuelle finale. Si on avait pu jouer devant nos fans, le soutien aurait été extraordinaire."

En tant que sélectionneur, comment gérez-vous tout ce flou?

"Je me suis accordé deux semaines de répit car je ne suis pas dedans. Le travail normal comme le visionnement, l'observation, les vidéos et le tableau lié à la forme des joueurs avait forcément été fait avant la trêve dédiée aux sélections nationales. J'ai toutefois décidé de recommencer cette préparation à zéro comme il reste plusieurs mois avant les matches. Je continue aussi de m'informer sur l'actualité afin d'être prêt le cas échéant. Par exemple, certains clubs norvégiens envisageraient de licencier leurs joueurs à cause de la crise sanitaire et ces mesures pourraient concerner mes joueurs. Avec le préparateur physique, on a également demandé aux joueurs de nous envoyer le programme que leur club leur avait donné et, s'ils ont besoin d'un complément, on leur en met un à disposition. On essaie donc de rester en contact avec eux au maximum."

Malgré le confinement, une partie de votre travail peut donc être réalisée...

"Cette crise sanitaire est quand même une coupure et c'est difficile d'être complètement dedans quand les joueurs ne jouent pas. A l'inverse, cette pause permet de prendre du temps pour lire des livres ou pour chercher de nouveaux entraînements. En général, il me manque du temps à disposition pour m'accorder une réflexion plus poussée sur les ballons arrêtés. Je profite également d'illustrer avec des images ma philosophie de jeu. Je prends donc du temps sur des choses que je n'aurais habituellement pas le temps de faire. Ça apporte d'autres choses et je vais essayer de profiter de ce confinement pour travailler et préparer ces barrages au mieux. Mais, en tant que personne à risque, je dois faire attention et j'essaie donc de faire la part des choses et de revoir mes priorités."

Vous évoquez votre confinement. Est-ce que le Kosovo a également adopté ce type de mesures? 

"La situation est aussi difficile là-bas. Elle l'est même doublement car la situation politique n'est pas optimale actuellement. Le gouvernement doit tout de même prendre des décisions face à cette pandémie de coronavirus. Par exemple, mes collègues à la Fédération font du télétravail. De mon côté, j'ai réalisé une vidéo qui est passée sur les télévisions nationales afin d'encourager les gens à rester chez eux, à être disciplinés et à faire preuve de solidarité. Le Kosovo est donc dans la même situation que la Suisse, même si le taux de malades n'est pas aussi élevé qu'ici. La pandémie existe et on ne sait pas trop comment le pays serait prêt s'il y a, tout d'un coup, un afflux de malades. Cette problématique vaut également pour les autres pays qui sont moins bien équipés que la Suisse d'un point de vue médical." 

Finalement, le tirage au sort de la Ligue des Nations a eu lieu le 3 mars à Amsterdam. Pour votre promotion dans la Ligue C, vous avez hérité de la Grèce, de la Slovénie et de la Moldavie. Compliqué, non?

"Il s'agit effectivement d'un gros groupe. La Grèce et la Slovénie étaient parmi les meilleurs adversaires de cette Ligue puisqu'elles ont été reléguées. Ce tirage est très bien car la Ligue des Nations, avant une Coupe du monde, laisse une chance infime à un petit pays de se qualifier via cette voie. Si on est réaliste, il est même impossible de décrocher un ticket pour le Mondial via cette compétition car le chemin est très long et très compliqué. On ne va donc pas jouer la Ligue des Nations dans le même état d'esprit qu'on a joué la première édition. Pour cette dernière, le discours avait été clair dès le départ et on voulait gagner notre groupe afin de se donner la chance de se qualifier pour l'Euro via les barrages. Ce n'était pas un objectif, mais un rêve. Ce serait donc extraordinaire pour un pays comme le Kosovo - dernière sélection à avoir été admise par l'UEFA - d'aller à l'Euro. Pour la prochaine édition de la Ligue des Nations, ce sera plutôt de continuer notre marche en avant et de progresser. L'idée sera également d'élargir le contingent afin d'apporter plus de concurrence et de prendre de l'expérience. C'est pourquoi affronter des adversaires comme la Grèce, la Slovénie et la Moldavie sera intéressant. Même si on voudra les gagner, ces matches serviront de préparation à la phase qualificative pour la Coupe du monde."

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