Interview Isabelle Caillat: «En revenant à Genève, j'ai compris que c'est là où je me sens bien»

De Laura Campisano/AllTheContent

9.10.2019

L'actrice suisse Isabelle Caillat.
L'actrice suisse Isabelle Caillat.
RTS/Thierry Parel

En tournage en Suisse depuis le 9 septembre et jusqu’au 13 décembre 2019, aux côtés d’André Dussollier, Isabelle Caillat joue le personnage principal d’une série télévisée qui sera diffusée sur la RTS courant 2020. Six épisodes d’un thriller politique dans le monde de l’humanitaire, sous l’oeil avisé de Jacob Berger, ancien grand reporter aujourd’hui cinéaste. Entre deux épisodes, la comédienne se raconte.

Pour le tournage de «Cellule de crise», pour la RTS, vous êtes dans le pays de votre enfance. Quel est votre rapport avec la Suisse et Genève en particulier?

J’ai passé la grande majorité de ma vie ici. Je suis arrivée quand j’avais 4 ans, j’ai grandi ici. Quand je suis partie à 20 ans pour aller suivre ma formation à New York, j’avais un grand besoin de partir. Je n’étais pas dans un rapport très apaisé avec ce que le lieu charriait pour moi. Partir m’a permis de trouver une liberté que je n’arrivais pas à prendre ici. Dans ma perception des choses, j’étais prise dans des carcans que d’autres m’imposaient et que je m’imposais aussi, qui étaient liés au lieu. Le fait de m’éloigner physiquement, ça a permis une liberation intérieure.

Les choses se sont améliorées depuis?

Oui, quand je suis revenue, je me suis rendue compte que c’est ici que je me sentais chez moi et que c’était redevenu agréable. Je me suis sentie bien. Les repères que j’avais n’étaient plus étouffants, mais plutôt rassurants et stimulants. Ils étaient plutôt des supports que des obstacles. Les quatre années passées loin ont beaucoup aidé à ça, notamment les expériences que j’ai vécues là-bas.

«Je me suis rendue compte que c’est ici que je me sentais chez moi.»

Vous avez tenté la vie parisienne également, avant de rentrer au pays. Quelles ont été les différences que vous avez ressenties entre ces trois lieux de vie?

Entre 2013 et 2018, j’étais basée à Paris. Je faisais beaucoup d’allers-retours avec la Suisse. Nous avions envie de tenter l’expérience parisienne avec mon mari, surtout par rapport aux opportunités de cinéma, plus nombreuses là-bas qu’ici. Et encore une fois, c’était motivé par un besoin de prendre de la distance, de changer d’air. J’étais un peu au bout d’une espèce de cycle où je sentais que j’avais besoin de bouger dedans, j’ai donc bougé tout court. J’ai adoré vivre à New York presque sans concessions. Je m’y suis sentie très bien, comme chez moi. A Paris, je ne me suis jamais sentie complétement intégrée mais ça m’a fait du bien de me sentir hors contexte, un peu flottante comme ça. Même si nos espoirs, nos objectifs ne se sont pas réalisés, d’autres choses très importantes ont eu lieu qui m’ont aidée à mieux revenir. Là, je suis revenue à Genève, il y a un an et demi. Il est très clair et très évident, que c’est ici que je me sentais bien, où je pouvais vivre la vie qui me correspondait.

Votre CV est très impressionnant, toutes les disciplines ou presque y apparaissent: cinéma, danse, théâtre, télévision. Est-ce que ces moments de respiration sont liés à votre vie artistique?

Ce ne sont pas des choix conscients, mais je sens que pour pouvoir faire ce métier, j’ai besoin de me sentir libre et disponible dans mon for intérieur. Quand je sens que je me sclérose, que je m’enferme, que je répète des choses automatiquement sans arriver à casser ces schémas, là j’ai besoin de prendre de la distance. C’est lié pour pouvoir jouer.

Est-ce vous qui avez choisi ce métier, ou est-ce lui qui vous a choisie?

Je l’ai découvert très progressivement, ça n’a pas été un coup de foudre. C’était même un peu compliqué au début, mais il y a eu des moments-clés. J’ai senti une reconnaissance, que je pouvais avoir une place dans le monde, comme un espace possible, qui ait du sens pour moi. Quand ça s’est produit, c’était très clair.

«Le rôle a été écrit totalement indépendamment de moi...»

Dans la série que vous tournez actuellement, n’avez-vous pas le sentiment que le rôle de Suzanne vous ressemble, un peu?

Le rôle a été écrit totalement indépendamment de moi, je n’étais pas dans la tête des scénaristes à ce moment-là. Mais je n’ai pas de tout de mal à me mettre à sa place, j’ai l’impression que je la comprends. Bien entendu, par moments avec Jacob (Jacob Berger, le réalisateur, ndlr) on réajuste, des points où ma compréhension très intuitive du personnage n’est pas celle que lui a imaginé. Je me retrouve dans le besoin que j’ai l’impression de percevoir chez elle, de trouver du sens à notre place, notre rôle et notre parcours dans le monde. On a peut-être ce point commun, ce besoin de trouver un cadre, un espace de pensée où justement on peut penser les choses. On n’est pas écrasé, ni rendu fou par les contradictions du monde et de la vie. J’ai l’impression de sentir ça chez elle, on projette aussi des choses de nous-mêmes dans ce qu’on joue.

Isabelle Caillat sera le personnage principal d’une série télévisée qui sera diffusée sur la RTS courant 2020.
Isabelle Caillat sera le personnage principal d’une série télévisée qui sera diffusée sur la RTS courant 2020.
RTS/Thierry Parel

Etes-vous, vous aussi, idéaliste comme votre personnage?

Moi je ne me considère pas comme telle, peut-être qu’on me considère un peu comme ça dans mon entourage proche. Ceci dit ce n’est pas le premier mot que j’utiliserais pour décrire Suzanne qui arrive à la tête d’une ONG humanitaire. Si c’est une idéaliste, elle est aussi pragmatique. Elle croit en ce qu’elle fait, mais ce n’est pas une militante ni une activiste. Elle pense, elle réfléchit et communique là-dessus et en ça elle est engagée. Elle croit au fait de communiquer sur des choses qui lui semblent importantes. Suzanne sent une responsabilité, cette série c’est le grand passage pour elle: passer d’un monde d’observation, de recherches à un monde d’action, avec des décisions qui vont avoir un impact concret sur beaucoup de gens, prises dans des contextes dramatiques. Suzanne a des principes, mais elle admet aussi la réalité comme elle est et pense qu’il faut partir de là.

«J’ai une gêne assez forte, due au fait de voir, de savoir des choses et de ne rien faire.»

Les sujets abordés dans cette série sont-ils proches de vous?

Au niveau de la forme, c’est assez loin de ma vie. Notamment parce que contrairement à mon personnage, j’ai beaucoup de mal à intégrer dans mon quotidien de pensée et d’actions, le global. J’ai une gêne assez forte, due au fait de voir, de savoir des choses et de ne rien faire. Ça me perturbe, donc j’essaie de faire des choses à mon échelle, dans un rayon que je peux envisager vraiment. Je suis très sensible aux questions d’environnement, mais je ne suis pas militante pour autant. Je crois aux actions du quotidien, aux petites choses.

A propos des rôles que vous avez joués au cinéma, au théâtre et à la télévision quel rôle vous a permis d’aller loin en vous?

C’est au théâtre que j’ai eu cette expérience, où j’ai dû le plus partir dans des zones complétement inconnues. Je jouais Phèdre et le metteur en scène souhaitait que j’aille très loin, pas forcément en termes de recherche mais plutôt de lâcher-prise. Ce n’était pas facile, mais c’est devenu assez jouissif paradoxalement. En effet, ça m’a permis de trouver une espèce de liberté, de folie, d’absence de censure. Je n’étais plus du tout dans le jugement. J’étais paumée, je n’avais plus de repères, donc j’étais en exploration libre bien que guidée par le metteur en scène. C’était de la découverte assez pure et brute.

«Ce qu’on m’a souvent dit, c’est que je pensais trop à la psychologie du personnage...»

Vous avez été formée au métier de comédienne aux Etats-Unis. Est-ce qu’il y a une grosse différence par rapport à ce qu’on vous demande, en France ou en Suisse?

Ce qu’on m’a souvent dit, c’est que je pensais trop à la psychologie du personnage, que je cherchais trop la perception intérieure du personnage. C’est comme ça que j’ai appris le métier de comédienne et ici j’ai eu quelquefois ce petit problème d’avoir l’impression de ne pas partir de là où on voulait que je parte. Mais j’ai surtout le sentiment que c’est peut-être qu’on n’utilise pas les mêmes mots pour exprimer les choses. En revanche je n’ai jamais ressenti de décalage avec mes partenaires. Ne faisant pas partie d’un groupe ou d’une famille en particulier, j’ai un peu joué avec des parcours différents.

«André Dussollier est très engagé dans le travail et c’est très agréable.»

Et c’est le cas, dans la série, où vous donnez la réplique à André Dussollier?

L’idée de jouer avec lui était assez stimulante. De mon côté, je n’ai pas peur de mes partenaires, plutôt de mon rôle, du boulot que j’ai à faire. J’ai peur de ne pas être à la hauteur du rôle qu’on m’a confié. De ce que j’ai pu voir de lui, ça ne fait pas très longtemps qu’on travaille ensemble sur le plateau, André Dussollier est très engagé dans le travail et c’est très agréable. Ce qui m’a impressionnée quand je l’ai vu, c’est que l’on sent la densité de sa présence, de sa voix. C’est une présence pleine, qui vibre.

Est-ce un moteur de travailler avec lui, pour vous?

Oui, il donne envie et confiance pour se jeter à l’eau. Cette chose très forte que j’ai ressentie de son engagement n’a pas été un frein mais plutôt en effet une stimulation. Il y a un élan très fort chez lui mais on sent également beaucoup de questionnement, il n’est pas dans une assurance totale. Du coup c’est aussi rassurant, ça aide à ne pas être dans ce questionnement «est-ce que j’ai le droit d’être là?». Mais juste «on est là ensemble on va essayer de faire du mieux qu’on peut.»

«Ce qui me plaît, c’est de toujours faire des choses différentes.»

Vous avez une préférence, entre le théâtre et les plateaux?

Ce qui me plaît, c’est de toujours faire des choses différentes. J’aime la scène comme les plateaux, les deux choses se questionnent et s’enrichissent mutuellement. Elles me demandent des choses différentes, j’espère que je pourrais continuer à faire les deux.

«Il y a beaucoup de ma vie privée qui bascule dans le travail et inversement.»

Comment parvenez-vous à trouver un équilibre personnel, dans tout ça?

J’arrive à déconnecter. Ce n’est pas facile, parce qu’on est un peu dans des équilibres constamment re-questionnés. Je dois toujours chercher, adapter, retrouver l’équilibre qu’il me faut, et comme c’est très important pour moi, je le cherche. Je pense qu’il n’y a pas de cloison entre le travail et la vie privée ou tout au moins, une frontière poreuse entre les deux. Il y a beaucoup de ma vie privée qui bascule dans le travail et inversement. J’ai un grand besoin de temps passé avec ma famille, mes amis mais aussi toute seule.

J’ai besoin d’être davantage dans l’être que dans le faire, mais c’est difficile. Ce qui me questionne beaucoup, c’est le rythme de nos vies. Et c’est d’autant plus fou qu’on est nombreux à avoir cette sensation et beaucoup à trouver ça absurde… Je me dis que je n’ai pas envie de courir. J’ai des réactions presque épidermiques à ça. J’essaie de trouver un moyen de faire autrement...

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