Interview «Physiquement, ne pas avoir de rapports sexuels n'est pas un problème»

D'Aurélia Brégnac / AllTheContent

1.10.2019

Génération hyper-connectée, les Millenials sont ces jeunes adultes nés entre la fin des années 1980 et 2000. Réseaux sociaux, sites de rencontres et contenus pornographiques accessibles à tous… l’apprentissage et les codes de la sexualité semblent avoir été bouleversés par l’usage d’Internet. A tel point qu’aujourd’hui, des chercheurs pointent des problèmes de désir et de plaisir chez ces ados, et notamment chez les garçons, qui ont grandi avec le Web. Quelles sont les raisons de ce phénomène de société? La journaliste Isabelle Moncada nous présente en avant-première le reportage de «36.9», qui donne, ce mercredi, la parole aux spécialistes.

Pouvez-vous nous parler du reportage sur la baisse de libido des «Millenials» qui sera diffusé ce mercredi 2 octobre? De quoi s’agit-il?

Plusieurs études scientifiques et enquêtes, notamment aux États-Unis, ont fait état d’une baisse de désir sexuel en particulier chez les jeunes hommes. La proportion des moins de 30 ans qui déclarent n’avoir aucun rapport sexuel a presque triplé depuis 2008. Nous avons voulu savoir si cette réalité se vérifiait aussi en Suisse romande. Et si oui, quelles conséquences cela a sur leur santé et leur bien-être. Laetitia Guinand et Nicolas Pallay sont allés interroger ces jeunes hommes et, effectivement, ils décrivent une sorte de récession de leur libido. Au même âge, les femmes sont beaucoup moins nombreuses à déclarer ne pas avoir de relations sexuelles.

Constamment connectés à Internet et aux réseaux sociaux, flirtant sur les applications de rencontre… Aujourd’hui, les jeunes ont aussi facilement accès aux contenus traitant de sexe ou pornographiques. Est-ce que la baisse de désir et de plaisir est lié à ce mode de vie virtuel?

Ces contenus sont accessibles aux enfants. Cette exposition précoce à des images impudiques et brutales les choquent et, en même temps, les privent d’une découverte progressive de la sexualité à travers leurs propres sensations, dans un corps qui se transforme à la puberté. Ils se construisent avec une vision distordue de l’amour, au travers d’images sexuelles déconnectées des sentiments. En plus, ces images de performances entament l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes, à un âge où l’on doute, où l’on se pose beaucoup de questions. Ils se demandent s’ils sont «normaux». On comprend qu’arrivés à l’âge adulte, ils aient quelques soucis d’ajustement avec la réalité.

«Le porno ce n’est pas une initiation ou une éducation sexuelle»

Et n’est-ce pas un peu contradictoire en fait?

Pas du tout. Le porno ce n’est pas une initiation ou une éducation sexuelle. Ce n’est pas un moyen de s’instruire sur ce qu’est l’approche érotique, la séduction, l’imaginaire et les fantasmes. Ça court-circuite justement tout ça.

Le porno est finalement une barrière au désir, il tue la relation à l’autre?

Il semble que oui, en particulier chez ceux qui le découvrent avant d’avoir la moindre expérience. Ça les inhibe, ça instille le doute sur leurs propres compétences. A quoi s’ajoute un gros malentendu sur ce qu’est une relation amoureuse et ce que désire le partenaire.

Quelles sont les raisons de cette tendance, selon les spécialistes, psychologues et sexologues?

Il y a plusieurs explications, en plus de l’hypersexualisation de la société et de cette omniprésence de la pornographie. Il y a le fait que les jeunes sont contraints de rester toujours plus longtemps chez leur parents à cause de la pénurie de logements et de leur situation économique. Il y a aussi le besoin de satisfaction rapide et sans complications qu’offrent les écrans là où une relation demande des efforts, des concessions et un engagement.

«Ils préfèrent se raconter leurs performances et leurs conquêtes, même si elles sont imaginaires ou exagérées.»

Il semble que les garçons soient plus concernés que les filles… Comment expliquer cela?

Une des explications, c’est que les garçons ne se racontent pas leurs doutes, ne partagent pas leurs faiblesses. Ils préfèrent se raconter leurs performances et leurs conquêtes, même si elles sont imaginaires ou exagérées. Laisser penser qu’ils assurent plutôt que de s’échanger des informations honnêtement. Justement parce qu’ils croient à tort que c’est ce que l’on attend d’eux. Les filles échangent beaucoup d’informations et se confient plus facilement leurs doutes, leurs échecs, leurs rêves. Et puis, les jeunes hommes doivent aussi s’ajuster aujourd’hui à des relations plus égalitaires avec les femmes.

«Nous sommes des animaux sociaux. Nous avons besoin de contacts, y compris physiques et intimes»

Les symptômes sont donc psychiques, mais aussi physiques?

Physiquement, ne pas avoir de rapport sexuels n’est pas un problème. Ce n’est pas dangereux pour la santé. Mais c’est triste et c’est une atteinte à la qualité de vie. Nous sommes des animaux sociaux. Nous avons besoin de contacts, y compris physiques et intimes, pour nous épanouir et garder un équilibre psychique.

Education, prévention, interdiction… Comment remédier à cela concrètement? Et qui peut s’en charger (école, parents, médecins, médias, etc…)?

Je crois qu’il faut bien l’effort de tous pour contrebalancer la tendance. Mais sans doute que les pères seraient bien inspirés de parler un peu plus avec leurs fils. Les mères le font naturellement avec leurs filles, parlent de la transformation du corps et aussi des sentiments. Les garçons sont souvent très seuls face à l’explosion hormonale qui les agite à la puberté. Plutôt que de les abandonner à leurs écrans et au porno, il faudrait leur parler et les faire parler.

Comment parler de sexualité avec les ados?

En discuter, tout simplement, c’est déjà bien. Oser aborder ces questions. Et rappeler aux jeunes les effets négatifs des écrans. Les pousser à sortir, à faire des rencontres et à flirter dans la vraie vie. C’est sûr que ça signifie prendre des risques, à commencer par celui d’être rejeté. Enfin, les rassurer, leur faire savoir qu’on est là, prêt à écouter s’ils ont besoin de se confier.

36.9°, «Millenials: baisse du désir masculin?», à voir le mercredi 2 octobre à 20h10 sur RTS Un, et à revoir sur PlayRTS. Avec Swisscom TV Air, vous profitez gratuitement de Swisscom TV sur votre ordinateur, votre tablette et votre Smartphone. Ainsi, vous pouvez regarder Swisscom TV, vos enregistrements inclus, où que vous soyez.

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