Interview Jean-Bernard Cadier: «La révolte gronde chez les républicains»

de Caroline Libbrecht / AllTheContent

19.2.2021

Correspondant pour BFMTV à Washington, Jean-Bernard Cadier vient d'écrire un livre sur Joe Biden. A la tête d'un pays plus divisé que jamais, le nouveau président démocrate cristallise beaucoup d'espoirs... Parviendra-t-il à réconcilier les Américains?

Jean-Bernard Cadier, à Orlando, en 2019.
Jean-Bernard Cadier, à Orlando, en 2019.
BFMTV

Vous êtes correspondant pour BFMTV aux Etats-Unis depuis dix ans et, en tout, vous cumulez 18 années passées dans ce pays fascinant, loin de vos origines…

Oui, je suis franco-suisse. Ma mère était de Genève. J’ai un attachement sentimental avec la Suisse, même si j’y vais rarement. Enfant, j’avais mon grand-père et des cousins à qui je rendais visite, dans le canton de Vaud.

Comment votre itinéraire vous a-t-il mené aux Etats-Unis?

Ce sont les hasards de la vie. Quand on est journaliste et qu’on s’intéresse aux affaires du monde, on finit toujours par passer à Washington… J’y suis passé, et j’y suis resté! Etre correspondant aux Etats-Unis, c’est un très beau poste.

Vous venez de couvrir votre sixième élection présidentielle américaine. Qu’avait de particulier ce duel Trump/Biden?

Cette élection a été tout à fait exceptionnelle, à cause de la tension qui régnait dans le pays. Donald Trump a créé une atmosphère très particulière pendant quatre années: la moitié du pays était très favorable à ses idées, tandis que l’autre moitié était très violemment opposée à sa politique. Le clivage était très fort. Je n’ai jamais vu une élection aussi tendue!

Jean-Bernard Cadier: «La révolte gronde chez les républicains».
Jean-Bernard Cadier: «La révolte gronde chez les républicains».
Keystone

«La révolte gronde chez les républicains. La division est patente…»

Quelles leçons peut-on tirer de la procédure d’impeachment visant Donald Trump?

Les démocrates savaient qu’ils n’avaient aucune chance de le faire condamner. Mais le but de la manoeuvre, c’était de diviser le camp républicain, entre les pro-Trump et les républicains «traditionnels». Le chef de file des sénateurs républicains, Mitch McConnell, a déclaré que cela ne fait aucun doute que le président Trump est politiquement responsable de l’attaque du Capitole, le 6 janvier dernier. Il est devenu l’ennemi numéro 1 au sein du parti, même s’il a voté pour l’acquittement de Trump. Bref, la révolte gronde chez les républicains. La division est patente… Selon les sondages, apparemment, Donald Trump garde le soutien de la grande majorité des républicains.

Ce leadership au sein de son propre camp lui permettra-t-il de se représenter dans quatre ans?

Quatre ans, c’est long. Mais je pense qu’il aura un poids suffisant pour peser sur les élections de mi-mandat en 2022, sachant qu’aux Etats-Unis, les élections primaires sont très importantes pour déterminer qui sera le candidat républicain. Pour le président vaincu, ce sera une occasion de prendre le dessus sur les républicains «traditionnels».

Comment avez-vous réagi lors de l’attaque du Capitole, le 6 janvier dernier?

Au-delà de l’attaque, j’ai surtout été surpris par la faiblesse de la riposte. On savait que ce rendez-vous du 6 janvier serait crucial et que la tension serait vive dans les rues de Washington, puisque Donald Trump avait lui-même appelé ses partisans à se mobiliser en masse. Mais la défense a tardé à intervenir. Pendant ce temps-là, Trump suivait les évènements en direct à la télévision. Il a laissé l’assaut se dérouler, alors que ses proches le suppliaient d’intervenir. Il a choisi de ne rien faire. Secrètement, il espérait que les événements tourneraient en sa faveur.

«Les États-Unis souffrent en ce moment, mais ils savent que viendra ensuite le temps de l’espérance.»

Joe Biden, selon vous, sera-t-il apte à apaiser la situation et à réconcilier les deux Amériques?

Il arrive dans des conditions très difficiles. Le pays est extrêmement divisé. Mais si quelqu’un possède les qualités requises pour accomplir cette mission, c’est Joe Biden! Grâce à son expérience et à sa personnalité, il sait éviter les clivages et il recherche le consensus. Il sait tourner la page et penser à l’avenir. C’est une personne qui a été marquée par de grands malheurs: il avait tout juste 30 ans lorsque sa première femme s’est tuée dans un accident de la route qui a également emporté leur fille de 13 mois et grièvement blessé leurs deux fils. En 2015, son fils est décédé d’un cancer foudroyant du cerveau. Il a connu des épreuves terribles qui lui ont appris l’empathie et la résilience. Les Américains l’ont suivi sur ce point: les États-Unis souffrent en ce moment, mais ils savent que viendra ensuite le temps de l’espérance.



Pour le moment, quel président est Joe Biden?

Je viens de le voir dans une émission sur CNN, où il a enchaîné deux heures de questions-réponses. Lui qui était si mauvais dans les débats, quasiment sénile, bafouillant, là je l’ai trouvé brillant! Je ne sais pas si c’est un miracle. Pour l’instant, force est de reconnaître qu’il a réalisé un sans-fautes, après quatre semaines à la Maison-Blanche. Il est sûrement très bien entouré. En effet, Joe Biden a une approche plus classique du pouvoir, contrairement à Donald Trump dont le principal atout était l’instinct. Mais le revers a été un exercice très solitaire du pouvoir.

«Le plus dur dans le contexte actuel, ce sont les «fake news»: personne n’est d’accord sur les chiffres, les faits, la réalité…»

Vous qui êtes journaliste aux Etats-Unis, comment décririez-vous le climat aujourd’hui? Est-ce particulièrement difficile d’exercer votre travail?

On se fait huer dans les rassemblements politiques, on se fait rembarrer quand on tente d’interviewer des partisans de Donald Trump mais, au fond, ils savent qu’ils ont besoin des médias… C’est un jeu! Le plus dur dans le contexte actuel, ce sont les «fake news»: personne n’est d’accord sur les chiffres, les faits, la réalité… Deux et deux ne font plus quatre. Il est difficile de rendre compte en toute objectivité de ce qui se passe dans ce pays. Toute une frange de médias réputés fiables - CNN, The New York Times, The Washington Post - a basculé dans l’anti-trumpisme. On constate une polarisation sans précédent de l’univers médiatique. L’ancien président a largement profité des théories du complot pour discréditer tous ceux qui cherchaient à dire la vérité.

Tout cela sur fond d’épidémie de Covid, ce qui n’arrange rien…

Les restrictions liées au Covid sont moins strictes ici. On peut se déplacer sans soucis. En revanche, lorsque je voulais interviewer des partisans de Donald Trump lors de la campagne, par exemple, il fallait prendre des précautions, car ils ne portaient délibérément pas de masques.

«Donald Trump a fait travailler le privé et le public ensemble, ce qui a été concluant.»

La gestion de la crise sanitaire va-t-elle évoluer avec l’arrivée au pouvoir de Joe Biden?

Donald Trump a mal géré le début de la crise du Covid et il a négligé les mesures barrières. Mais il faut reconnaître qu’il a mobilisé la recherche sur les vaccins: il a fait travailler le privé et le public ensemble, ce qui a été concluant. Joe Biden va en récolter les fruits. Contrairement à son prédécesseur, le nouveau président apparaît toujours en public avec un masque et il incite les gens à le porter. Mais, paradoxalement, il n’a pas beaucoup de pouvoir en la matière, cela relève des autorités fédérales.

«Rapporté au nombre d’habitants, le pays se situe entre l’Italie et la France.»

Nous sommes à la mi-février. Quel est le bilan - à ce jour - de l’épidémie de coronavirus?

Les États-Unis viennent de passer la barre des 500 000 décès liés au Covid. Rapporté au nombre d’habitants, le pays se situe entre l’Italie et la France. Le nombre de nouveaux cas baisse en ce moment, sans que l’on sache exactement pourquoi: début d’immunité collective? Impact de la vaccination? Changement de comportement des Américains? Aujourd’hui, les autorités agitent la menace des variants pour inciter les citoyens à respecter les gestes barrières.

La formule «tout-info» de BFMTV vous convient-elle ou êtes-vous parfois frustré de ne pas avoir davantage de temps d’antenne?

C’est une formule qui fait ses preuves, surtout en ce moment, alors que l’actualité évolue rapidement. Il faut avoir à la fois des médias qui prennent du recul sur l’information et d’autres qui couvrent l’actualité en temps réel; les deux complémentaires. Et ceux qui veulent approfondir sur Joe Biden peuvent lire mon livre!

Jean-Bernard Cadier: «Joe Biden, de Scranton à la Maison Blanche», Ed. L’Archipel.

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