COVID-19 «Je n'ai jamais pensé vivre une situation aussi effrayante»

Beretta Paolo

19.3.2020

Portes fermées. Défense d'entrée pour les visiteurs. Au Tessin, les maisons de retraite sont coupées du monde depuis de nombreux jours. Comment soignants et résidents vivent-ils cet isolement? Interview.

Les autorités du Tessin veulent protéger les personnes âgées et ont interdit les visites dans les maisons de repos du canton. Ces mesures sont également mises en œuvre au Centre Social Onsernonese (CSO).

Comment la vie a-t-elle changé au CSO? Les personnes âgées sont-elles plus seules? «Bluewin» s'est entretenu avec Yasmin Boschetti, cheffe du département de soins du CSO.

Mme Boschetti, quelle est la situation actuelle?

Je n’aurais jamais cru de me retrouver dans une situation si particulière, si difficile dans ma vie professionnelle. Il faut l’admettre: elle fait peur. La situation est très sérieuse. Heureusement nous avons notre directeur sanitaire, le Dr. Thomas Aebi, qui nous donne chaque jour des directives très claires à suivre.

Votre travail a-t-il changé?

La charge de travail a augmenté de façon considérable. Ce n’est pas tant le port du masque. Nous sommes habitués pendant cette période de l’année a en porter à cause de la grippe saisonnière. Mais on doit maintenant porter des blouses à utilisation unique et nous laver et désinfecter les mains beaucoup plus souvent que d’habitude. C’est un peu plus compliqué.

En tant que cheffe du département de soins, le défi est logistique et organisationnel. Par exemple, nous avons commencé à isoler de façon préventive certains de nos résidents, même si nous avons qu’un petit soupçon.

Nous avons dû repenser tous les espaces en commun. Nous sommes aussi en train de construire un espace externe de récréation. Il est important car, de cette façon, nous pourrons sortir en plein air sans courir le danger que nos résidents puissent rencontre des personnes externes. Il sera fonctionnel sous peu.

Comment se porte votre team?

Au sein du personnel soignant, cette situation nous a encore plus soudés. Nous sommes devenus une famille. On sait que ce sera la seule façon de s’en sortir.

Yasmin Boschetti et son team
Yasmin Boschetti et son team
Centro sociale onsernonese

La situation est compliquée et dangereuse, car potentiellement mortelle, surtout pour les personnes âgées, donc pour tous vos résidents. Qu’est-ce que vous leur avez dit? La vérité?

Tous ceux qui ont encore une capacité cognitive normale savent tout. Ils lisent les journaux, ils écoutent la radio, regardent la télévision. Parfois, ils sont plus à jour que nous sur les chiffres et sur l’évolution de l’épidémie.

Mais ce n’est pas aussi simple avec les personnes qui souffrent de troubles psychiatriques. Leurs priorités sont différentes des nôtres. Ce ne sont pas de ne pas avoir de contact avec quelqu’un d’autre, mais, par exemple c’est de donner à manger aux oiseaux. Nous devons leur expliquer que, pour le moment, ce n’est pas possible. Même si nous avons établi une relation avec eux qui nous permet de communiquer et de les accompagner dans leur vie, ce n’est pas facile. Nous ne les laissons pas sortir et on les oriente vers d’autres activités. Nous devons les surveiller. Avec l’espace protégé en construction à l’extérieur, cela va aller mieux .

Yasmin Boschetti
Centro Sociale Onsernonese

Yasmin Boschetti, 29 ans, a obtenu son diplôme d'infirmière en 2013 à l'Université du Piémont oriental. Elle a commencé sa collaboration avec le CSO en 2014 et depuis 2018, elle est chef du département des soins au siège du CSO à Russo.

La vie dans la maison de retraite a changé. De quelle façon?

Nous ne pouvons plus organiser certaines activités faute de distance de sécurité assurée. Mais il y a quand même des choses qu’on arrive encore à faire. Certains des résidents sont par exemple en train de préparer les décorations pour Pâques car nous avons réussi à trouver des solutions pour respecter les mesures de sécurité.

Comment cette situation d’isolement est-elle vécue par les résidents ?

Certains de nos résidents ne reçoivent jamais de visites. Mais d’autres, oui. Pour ceux-là au début, c’était très dur. Nous avons eu des mamans qui, tellement habituées à recevoir les visites de leurs enfants, ont même pleuré. Le téléphone pour certains, ce n’est pas une solution car l’ouïe n’est pas des meilleures. Nous avons eu une idée: utiliser les nouvelles technologies.

Lesquelles et comment?

Avec des appels via Face Time et Skype. La première fois que nous avons essayé, ce fut une grande émotion pour tout le monde: pour le résident mais aussi pour tous les soignants. Il y a peu d’intimité, c’est vrai, mais voir la joie du résident a été très gratifiant. De l’autre côté de l’écran il y avait un jeune qui maîtrisait bien la technologie. Nous avons branché la tablette à la télévision. De cette façon le résident a vu son parent sur grand écran. Un moment spécial. Maintenant on fait la même chose avec les autres résidents.

Avez-vous un nombre suffisant de tablettes?

Il y a 35 résidents et tous ne les utilisent ou ont quelqu’un à appeler. Donc une tablette pour toute la maison de retraite, c’est suffisant. Nous ne devons même pas limiter le temps de l’appel. Vu que la responsable des activités récréatives Ariela Terribilini à moins de travail et que les activités de groupe sont interdites, elle aide celles et ceux qui appellent. Il y a des personnes qui ont appris à maîtriser un minimum les nouvelles technologies et qui peuvent appeler en toute autonomie leurs familles. Mais il y a aussi ceux qui ont peur de «tout éteindre». Dans ce cas, ils sont aidés constamment.

Vous êtes frontalière, tout comme beaucoup de vos collègues qui travaillent dans le système de santé tessinois (25% du personnel soignant). Comment avez-vous vécu la possibilité d’une fermeture des frontières?

Il y a eu beaucoup de stress au début. De la peur aussi car nous n’avions aucune information. Personne n’était en mesure de comprendre si les frontières allaient fermer ou pas, de savoir si on allait rester coincés en Italie ou en Suisse. De fait, il y a eu beaucoup d’incertitude malgré le fait que la direction du CSO nous a tout de suite mis à disposition des logements gratuits. La situation semble un peu plus claire donc nous sommes un peu moins inquiets, mais nous avons toujours une valise dans la voiture, au cas où. En outre, fermer les frontières ne sert pas à grand chose, le virus ne les respecte pas.

Yasmin Boschetti: «Nous avons eu une idée: utiliser les nouvelles technologies avec des appels via Face Time et Skype»
Yasmin Boschetti: «Nous avons eu une idée: utiliser les nouvelles technologies avec des appels via Face Time et Skype»
Centro sociale onsernonese

Quelque chose a changé à la frontière?

Il y a des contrôles systématiques à l’entrée en Suisse et quand on rentre en Italie. Nous devons montrer tous nos papiers: permis de travail, attestation fournie par notre employeur avec toutes les coordonnées pour les vérifications. De plus, nous avons toujours avec nous une copie du contrat de travail. Ce lundi matin, pour la première fois, on m’a aussi demandé une pièce d’identité. Une fois rentrés en Italie, il faut en plus montrer le document livré par l’État italien qui atteste que, dans cette situation particulière, nous nous déplaçons pour le travail.

Sur les réseaux sociaux sont nés beaucoup de groupes qui soutiennent les frontaliers qui travaillent dans le secteur de la santé au Tessin. Vous les avez vus? Qu’en pensez-vous?

J’ai vu la grande vague de solidarité sur les réseaux sociaux. Il y a un groupe sur Facebook qui s’appelle «Frontalieri Ticino» où on nous offre des logements et des solutions d’hébergement en cas d’urgence. C’est très touchant. Cela fait plaisir de se sentir acceptés et reconnus comme des personnes qui apportent du soutien.

Et pour l’avenir? Vous avez un souhait?

Une seule chose: que l’on prenne plus au sérieux ce virus. Je vois encore trop de personnes dans les rues. Je voudrais vraiment qu’elles restent chez elles. C’est la seule façon de stopper l’épidémie.

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