«Vivre avec le virus» «Les opportunités gâchées sont pires que le manque à gagner»

Anna Kappeler

1.5.2020

La designer zurichoise Andrea Anner sur son balcon à Marseille.
La designer zurichoise Andrea Anner sur son balcon à Marseille.
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Le coronavirus impose à tout le monde un nouveau quotidien. Mais comment se vit cette nouvelle vie? «Bluewin» propose une mini-série intitulée «vivre avec le virus». 

«J’ai été affectée très tôt par le coronavirus. Je suis designer indépendante et j’ai mon propre studio avec mon conjoint. A la mi-mars, nous étions invités à un salon du design dans les villes chinoises de Shanghai et Shenzhen. Mais en janvier, il a été reporté à juin. Et il a été annulé depuis.

Nous aurions présenté une lampe en Chine – cela aurait été une grosse opportunité pour nous. Bien sûr, cela ne nous empêche pas de sortir la lampe, mais nous ne bénéficions pas des nombreux visiteurs qui auraient été intéressés lors du salon en Chine. C’est un peu ennuyeux.

«Phasma» est une lampe développée par le studio de design AATB. «Lumpi’s Dogbone» est l’une des innombrables formes auxquelles les circuits imprimés peuvent être combinés.
«Phasma» est une lampe développée par le studio de design AATB. «Lumpi’s Dogbone» est l’une des innombrables formes auxquelles les circuits imprimés peuvent être combinés.
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Nous aurions également eu deux grandes expositions à la Milan Design Week – mais celle-ci a aussi été reportée d’avril à juin. Et désormais annulée.

Un autre exemple? Même chose pour WantedDesign, un salon du design à New York auquel nous étions invités en mai. Il a également été annulé depuis. C’est vraiment dommage, cela aurait été une grande opportunité. Toujours est-il que le réseau suisse swissnex nous a désormais demandé si nous pouvions travailler depuis chez nous sur un projet qui serait accessible virtuellement. Nous y travaillons actuellement.

Pas de gaz pour cuisiner, pas de câble internet, de l’eau uniquement dans la baignoire

En temps normal, nous bougeons constamment à travers le monde. Maintenant, nous sommes toujours à la maison. Nous avons récemment déménagé en plein cœur de Marseille. Le plan: avec mon conjoint, nous rénovons nous-mêmes autant que possible et nous confions le reste à des artisans. Un plan solide. Mais le coronavirus s’est intercalé. Résultat? Les artisans ne peuvent plus venir. Et les magasins de bricolage sont fermés.

Andrea Anner

Andrea Anner est designer. Cette Zurichoise de 35 ans vit depuis deux ans à Marseille avec son conjoint et leur enfant. Le couple a fondé le studio de design AATB, une plate-forme dédiée à la robotique dans les applications créatives.

De ce fait, dans la cuisine, nous n’avons pas de gaz pour cuisiner, nous n’avons que deux petites plaques électriques. De même, le câble pour avoir Internet n’est pas encore tiré. Et nous avons l’eau courante uniquement dans la salle de bain, dans la baignoire.

Mais ce n’est pas un drame, nous nous y sommes habitués. Même avec notre bébé de neuf mois, nous nous en sortons très bien ainsi. Heureusement, il ne comprend pas encore que nous sommes dans une situation exceptionnelle. Il aurait dû aller à la crèche pour la première fois pendant la semaine où le confinement a été instauré. Pour l’instant, ça va. Si le bébé ressent un manque d’interactions sociales? Je ne pense pas.

Moi, en revanche, mes amis me manquent. Et comment. Ceci dit, nous organisons régulièrement des «télé-apéros» avec eux, c’est-à-dire que nous mangeons et buvons ensemble en ligne. Mais ce n’est absolument pas pareil qu’en vrai. Je téléphone tous les jours à mes parents.

Personne n’est autorisé à sortir sauf en cas d’«absolue nécessité».

Nous avons le temps pour cela en ce moment. Parce que contrairement à la Suisse, la France a décrété un confinement total. Et ce, depuis le 17 mars. Nous ne sommes autorisés à sortir de chez nous qu’en cas d’«absolue nécessité». Cela comprend les activités professionnelles qui ne peuvent être organisées sous forme de télétravail, les rendez-vous médicaux, les courses ou une heure de sport par jour. Pour faire des courses ou du sport, il faut être seul, et on ne peut pas courir à plus d’un kilomètre de son domicile.

Si je sors de chez moi, je ne pars jamais sans une attestation du gouvernement contenant mes coordonnées. Le non-respect des règles est puni d’une amende de 135 euros [environ 142 francs] et en cas de récidive, l’amende est portée à 200 euros [environ 210 francs].

L’attestation du gouvernement français. Andrea Anner doit toujours l’avoir avec elle lorsqu’elle sort de chez elle.
L’attestation du gouvernement français. Andrea Anner doit toujours l’avoir avec elle lorsqu’elle sort de chez elle.
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Néanmoins, je trouve ces mesures raisonnables. Vu d’ici, je suis surprise que des mesures aussi laxistes soient encore en vigueur en Suisse.

Nous ne pouvons pas travailler plus que 24 heures sur 24

Sur le plan financier, la crise du coronavirus nous affecte directement. Mais pour moi, toutes les opportunités gâchées sont pires que le manque à gagner actuel. Nous aurions pu nous faire mieux connaître lors des expositions et nouer des contacts précieux.

Bien sûr, il y a encore une chance que certaines expositions soient rattrapées. Mais si tous ces événements ont lieu en automne à intervalles courts, nous aurons également un problème. Nous n’aurons alors pas assez de temps pour réaliser tous les projets. Nous ne pouvons pas travailler plus que 24 heures sur 24.

Heureusement, nous avons encore quelques commandes de Suisse, ce qui nous maintient à flot. A côté, mon conjoint programme des sites web – et aujourd’hui, il a même plus de demandes qu’avant la crise.

Nous avons également tous les deux des petits emplois d’enseignants dans diverses écoles d’art. La semaine dernière, j’ai donné sept heures de cours à la Schule für Innenarchitektur en vidéoconférence sur Zoom Graphics. C’était étrange – j’ai pu rester assise chez moi sur mon canapé pendant tout ce temps. Cela me convenait très bien, comme je n’ai pas eu à faire le déplacement. Mais bien sûr, mon conjoint n’a pas pu travailler pendant ce temps – il devait s’occuper du bébé. On ne peut pas faire les deux en même temps.

Sur le long terme, les choses pourraient devenir plus difficiles. Si l’économie mondiale s’effondre ou se détériore fortement, les premières économies toucheront les dépenses dans le secteur de la création. Cela nous affectera alors. De nombreux projets pourraient être annulés l’année prochaine.»

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