Luxe sur les rails Embarquez à bord du train «Rovos Rail» et parcourez le sud de l'Afrique

Bruno Bötschi

4.3.2018

Un train historique restauré avec amour berce élégamment des passagers à travers le sud de l'Afrique. D'aucuns avancent que le «Rovos Rail» est le plus beau train du monde.

Dar es Salam. Le port de la paix. C'est le nom de la métropole tanzanienne sise le long de l'océan Indien. Alors que je m'éveille dans l'hôtel, je comprends pourquoi elle a été baptisée ainsi: un Alléluia cristallin est entonné dans l'église à proximité. La veille, avant de tomber dans les bras de Morphée, c'est le chant du Muezzin que j'ai entendu. Au sein du port de la paix, nombre de peuples et de religions cohabitent en toute tolérance. C'est au cœur de cette ville vibrante de trois millions d'habitants que débute mon voyage à travers l'Afrique de l'Est.

Le train de luxe «Rovos Rail» va me bercer 2500 kilomètres durant, à travers la Tanzanie, la Zambie, le Botswana et le Zimbabwe. De Dar es Salam, aux chutes de Victoria, une des plus incroyables merveilles du monde, en passant presque par l'équateur.

Alors que je flâne dans la salle d'attente de la gare de Dar es Salam, une mélodie du chansonnier bernois Mani Matter jaillit dans ma tête: «Das isch ds Lied vo de Bahnhöf wo dr Zug geng scho abgfahren isch oder no nid isch cho und es stöh Lüt im Rägemantel dert und tüe warte.» Une chanson dans laquelle le protagoniste manque son train, donc plutôt inadéquate, me dis-je en souriant. Ce matin, aucun voyageur n'est présent dans la salle d'attente de la gare de Dar es Salam. Pas un chat. Il faut imaginer une gare tanzanienne comme un grand hall conçu pour un marché, sans qu'il n'y ait de marché à proprement parler.

Le rêve d'un ferrailleur

Notre train occupe le quai numéro 4, seul. Il est vert sombre et s'étend sur quasiment un kilomètre. «The Pride of Africa», la fierté de l'Afrique: c'est le nom que lui a donné son propriétaire, Rohan Vos. L'entrepreneur sud-africain a fait fortune dans la ferraille. Et c'est grâce à la ferraille qu'il a pu commencer à réaliser son rêve. Rohan Vos a fait l'acquisition de locomotives et de wagons historiques, dont certains avaient plus de 90 ans. Puis, il les a fait restaurer avec style. À l'origine un plaisir personnel, le train a pris le nom de «Rovos Rail» en 1989. Selon ses propres dires, il s'agit du train le plus confortable du globe.

Et c'est le moins que l'on puisse dire, car le voyage débute sous les meilleurs auspices: sur le quai, un tapis rouge attend les passagers. Puis, du vin est servi avant que les voyageurs ne soient menés à leurs suites. Le train se remplit: 50 passagers allemands et une demi-douzaine de Suisses. À l'instar du reste du train, ma suite est bardée de panneaux en bois. Elle porte le nom de la ville sud-africaine Warrenton. Je suis frappé par la sensation d'espace, malgré les onze m2 de ma cabine. Clarissa Buitendach, ma femme de chambre, m'indique où se trouvent le minibar et le coffre-fort. Soudainement, la machine commence à vrombir, à grincer et à geindre. Le train démarre lentement. Des enfants nous adressent des clins d'yeux alors que les maisons de Dar es Salam défilent à la fenêtre. Je leur renvoie un clin d'œil et me laisse bercer par la mélodie du voyage.

Durant les trois premiers jours, nous traversons la Tanzanie. Une aventure qui se vit confortablement assis dans un fauteuil. En effet, aucune expédition n'est organisée pendant les deux premiers jours, en revanche, il y a bien quelques secousses. Les voies de chemin de fer de la TaZaRa (Tanzanie-Zambie-Railway) ont été posées par les Chinois, très présents en Afrique de l'Est dans les années 70. Aujourd'hui, les rails ne sont plus tout à fait parallèles. C'est pourquoi le train progresse doucement, ronronnant à travers le pays. Durant notre voyage, la vitesse oscillera entre 20 et 40 km/h.

Prochaine étape: la réserve de Sélous, le plus grand espace de chasse d'Afrique. Le voyage en train se transforme alors en safari ferroviaire. Avec quelques passagers, je prends place sur des bancs en bois dans le wagon panoramique ouvert, une des attractions du train. L'atmosphère est électrique, les appareils photos crépitent. Nous apercevons des antilopes, des girafes, des zèbres et même, à la surprise de tous, une famille d'éléphants dissimulés dans les broussailles.

Tous espèrent poser leurs yeux sur un des membres du Big Five, les cinq animaux les plus recherchés: éléphant, rhinocéros, buffle, lion et léopard. C'est pour eux que Lutz et Andrea Birgit Halang sont montés à bord: «Nous rêvons de ce voyage depuis des années.» Longtemps, cela ne semblait être qu'un rêve, un rêve inatteignable... Les Halang ont grandi en RDA.

L'art de ne rien faire

À bord du «Rovos Rail», l'occupation principale est de regarder par la fenêtre. Sinon, il n'y a pas grand chose à faire. C'est justement ce qui rend ce périple si fascinant, et hautement relaxant. Il est aussi possible de se prélasser dans les fauteuils du wagon lounge, en feuilletant un magazine relié de cuir tout en se faisant servir un café. Smartphones et ordinateurs sont ici proscrits, ils ne peuvent être utilisés que dans les suites.

Pour annoncer le repas du midi et du soir, une musique retentit: «Ding-Dang-Dong». Un des employés parcourt le train avec un xylophone. Immédiatement, les passagers commencent à converger vers le wagon restaurant. Quatre plats sont servis, midi et soir, toujours accompagnés de vin sud-africain. Le chef cuisinier, Aubrey Pieterse, et ses cinq collègues, produisent par enchantement des plats fabuleux dans la cuisine étroite, coincée entre les deux wagons restaurants. Le menu du jour? Terrine de légumes puis aloyau de springbok.

Assez rapidement, je commence à craindre qu'il faille me sortir de force du train à la fin du voyage. Ainsi, je décide de m'astreindre à parcourir le train dans son intégralité au moins cinq fois, et ce tous les jours. Ce qui me prends bien dix minutes à chaque fois. Le matin du deuxième jour, le train progresse doucement à travers un paysage vallonné. Le soleil levant applique une touche mordorée sur les collines, conférant ainsi une beauté irréelle au paysage. Parfois, il arrive que le train soit plongé dans l'obscurité, lorsqu'il traverse un des nombreux tunnels du parcours.

Jusqu'à présent, «The Pride of Africa» ne s'est arrêté que pour se ravitailler en liquide de refroidissement. Les gares, souvent situées au milieu de nulle part, se ressemblent toutes: bâtiments de tailles diverses peints à la chaux, salles d'attentes bleues ou vertes, sans une âme qui vive. Même à la gare de Makambako, où nous pouvons descendre pour la première fois, seules deux femmes attendent le prochain train. Probablement depuis des heures. Elles somnolent sur des bancs, abritées par des couvertures.

Dans la ville règne une joyeuse atmosphère de marché. Les cabanons en bois bigarrés pullulent et chacun y vend ce qu'il veut: meubles, légumes, chaussures de sport, bicyclettes, pneus et manteaux d'hiver. Soudainement, le tohu-bohu s'intensifie, un bus vient de percuter une voiture sur la rue principale. Sur le lieu de l'accident, une foule de personnes s'agglutine. La tension est grande, mais les dégâts sont heureusement minimes et nous pouvons retourner tranquillement à la gare.

L'âme de l'Afrique en Zambie

Pendant la nuit, nous passons la frontière avec la Zambie. Le matin, alors que je me traîne jusqu'au wagon restaurant, toujours à moitié endormi, je m'aperçois qu'une douanière a pris place dans le wagon lounge. Sur sa tête trône une impressionnante perruque rouge foncé. Elle contrôle minutieusement les tickets de tous les passagers, mais ne prête pas plus attention à moi. Notre train s'arrête ensuite à Nakonda, le premier village après la frontière. Sur le quai, je rencontre le chef de gare, Masereso. Il travaille depuis 22 ans pour les chemins de fer. Auparavant, il pilotait une locomotive. À l'époque, il y en avait encore 41 en service, contre 14 aujourd'hui, malgré les exportations de cuivre en augmentation permanente.

Tous les matins, les aspects les plus sombres de l'Afrique sont évoqués lors d'un exposé. Les deux chefs de voyage, Bianca Preusker et Kevin Stolzenberg parlent de l'esclavagisme en Afrique de l'Est et sur l'île de Zanzibar, sans aucun doute l'un des plus grands crimes contre l'humanité. Le taux extrêmement élevé de contamination au VIH est également abordé: dans certains pays africains, une personne sur trois est infectée. Toutefois, Kevin Stolzenberg, élevé en Allemagne mais résident sud-africain depuis des années, parle avec engouement de sa deuxième patrie. Il fait appel au proverbe bien connu: «Tu peux quitter l'Afrique, mais l'Afrique ne te quittera pas.»

En Zambie, c'est l'Afrique rêvée que l'on rencontre enfin. Cases en torchis, toits en paille et femmes portant miraculeusement des véritables montagnes de poires sur leur tête. Le train aussi est un miraculé, tant les rails sont délabrés dans la région. Les wagons grincent, gémissent et se plaignent. Aucun nuage ne vient troubler la quiétude d'un ciel qui paraît infini, suspendu au dessus de la brousse zambienne. Dans la ville de Kapiri Mposhi, nous passons des voies appartenant à la TaZaRa à l'ancien réseau colonial.

Si les projets de l'ancien impérialiste britannique, Cecil Rhodes, avaient vu le jour, ces voies ferroviaires iraient jusqu'au Caire. Un slogan publié dans la presse britannique en 1876 incarnait à la merveille sa devise: «Du Caire au Cap!» À l'époque, les hommes, avides d'or et de diamants, se sont précipités en masse en Afrique. Ironie de l'histoire: le projet de Rhodes a finalement vu (partiellement) le jour par le biais de la Chine communiste, dans les années 70.

Notre voyage se poursuit. Enfin, il serait en mesure de le faire si un problème n'était pas survenu: une locomotive qui roulait devant nous est tombée en panne et obstrue désormais la voie. Nous avons actuellement cinq heures de retard sur notre plan de route. La directrice du train, Mart Marais, n'a quasiment pas dormi la nuit passée. Elle recherchait diligemment une solution, tout en restant d'un calme olympien. En effet, elle travaille depuis déjà dix ans pour «Rovos Rail». Comme toujours, elle a fini par triompher: deux bus d'un beau bleu roi. Nous devons tous débarquer.

Nous parcourons les 500 kilomètres suivants sur le ruban d'asphalte. Faute de quoi, nous n'arriverions pas à temps au Chobe Safari Lodge, situé à proximité de la frontière avec le Botswana. Heureusement, nous ne perdons rien du paysage: les rails et la route sont quasiment toujours parallèles. Nous atteignons le fleuve Zambèze dans l'après-midi. À Kazungula, le cours d'eau marque la frontière entre le Botswana et la Zambie. Des dizaines de camions attendent patiemment qu'on leur accorde le droit de passage. En raison de la complexité des formalités de douane, plus d'un chauffeur doit patienter jusqu'à quatre jours ici, avant qu'on ne lui donne le feu vert. Les douaniers nous font signe de poursuivre notre route.

Les Big Five

Le prochain événement marquant du voyage ne se situe qu'à quinze minutes de voiture: le fameux parc national de Chobe. En peu de temps, nous avons tous pris place dans un véhicule tout-terrain ouvert et cahotons vers les étendues naturelles de Chobe. Le temps presse, personne ne doit errer dans le parc une fois le soleil couché. Le «Chobe» est notoire pour ses grands troupeaux d'éléphants.

La faune et la flore sauvage du parc national de Chobe est simultanément brute, dure et romantique. Outre les éléphants paissent des hippopotames, des buffles, des gnous et des koudous dans des marécages s'étendant à perte de vue. Tandis que des babouins se pourchassent mutuellement, des dizaines de crocodiles se prélassent au bord du marais, d'un air désintéressé.

Soudainement, la radio de notre pilote crépite, puis il freine brutalement et fait demi-tour. Nous devons rebrousser chemin. Parce que le soleil se couche? Absolument pas! Il s'agit d'un animal du Big Five qui s'est confortablement installé sur une branche d'arbre. De plus, il ne se laisse pas perturber un seul instant par notre présence. Il s'étend de tout son long et se laisse baigner par le soleil crépusculaire incandescent.

Voir ces paysages de ses propres yeux surpasse toutes les cartes postales. Seulement dans la réalité, chaque voyage, aussi beau soit-il, a une fin. Le lendemain, il est temps de faire ses adieux à l'Afrique, sans toutefois oublier un des moments forts du périple: les chutes Victoria. Sur une distance de 1708 mètres, les eaux du fleuve Zambèze se jettent du haut d'un mur de roche haut de 110 mètres. Comme si un géant avait frappé la croûte terrestre d'un coup de hache. Les autochtones, un peuple nommé Kololo, appellent ces cataractes Mosi-oa-Tunya: fumée retentissante dans la langue de Molière.

La brume projetée par cette merveille de la nature s'élève jusqu'à 300 mètres de haut et il est encore possible de l'apercevoir à 30 kilomètres de distance. Tandis qu'une fine pellicule d'eau recouvre ma peau, je ressasse mes journées passés dans le «Rovos Rail» et me rappelle les paroles du légendaire missionnaire David Livingstone, lorsqu'il fut le premier Européen à découvrir les chutes en 1851: «Une vision si belle que l'ange suspend son vol pour s'en imprégner.»

Ce reportage a été publié dans un premier temps dans «Schweizer Familie».

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