«Une nécropole dans la métropole» L’île des morts oubliée de New York

dpa/tafi

19.5.2020

Certaines victimes new-yorkaises du coronavirus ont été enterrées dans de simples cercueils en bois sur Hart Island – principalement des sans-abris et des personnes défavorisées ou sans famille.
Certaines victimes new-yorkaises du coronavirus ont été enterrées dans de simples cercueils en bois sur Hart Island – principalement des sans-abris et des personnes défavorisées ou sans famille.
John Minchillo/AP/dpa

Depuis 150 ans, Hart Island est le cimetière des habitants pauvres de New York. En réalité, la petite île isolée au large du Bronx devait être transformée en parc public. Mais la crise du coronavirus est intervenue.

Ce pourrait être une si belle journée de printemps. Les voiliers blancs sont bercés par l’eau salée de l’océan, alors qu’au loin, les gratte-ciel de Manhattan se dressent face au soleil de midi. Mais à la périphérie de la métropole, les drapeaux américains sont également en berne.

Il suffit d’aller à l’autre bout de l’allée pour en voir la raison. Un panneau indique «zone interdite» et à travers la clôture grillagée, on aperçoit un ponton. Quelques centaines de mètres plus loin se trouve Hart Island, une île devenue célèbre après que de nombreuses victimes du coronavirus y ont été enterrées dans des fosses communes. Les photos du site ont fait le tour du monde.



Dans de simples cercueils en bois

La pandémie de coronavirus a durement touché la mégapole de New York. Environ 190 000 personnes ont déjà contracté le virus dans cette ville d’environ neuf millions d’habitants et plus de 20 000 y auraient succombé. Certaines de ces victimes ont été enterrées dans de simples cercueils en bois sur l’île de Hart – des sans-abris, des personnes sans famille ou qui n’ont pas pu être identifiées et d’autres dont la famille n’avait pas les moyens de financer une autre forme d’inhumation.

Depuis environ 150 ans, Hart Island est le cimetière des habitants pauvres de New York. Auparavant, cette île en grande partie inaccessible au public a notamment été un camp de prisonniers de guerre – pendant la guerre de Sécession et la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle trois prisonniers de guerre allemands y étaient détenus. L’île a également abrité un sanatorium pour patients atteints de tuberculose, un hospice et une clinique psychiatrique, dont les bâtiments sont depuis longtemps en ruine.

Au cours des 150 dernières années, plus d’un million de morts ont été enterrés sur cette île de 400 000 mètres carrés située au large du Bronx. Si en temps normal, elle accueille environ 1100 cadavres par an, ce chiffre a connu dernièrement une hausse considérable en raison de la pandémie de coronavirus.

Le projet de parc public repoussé

«Les images de nos compagnons new-yorkais enterrés sur Hart Island sont déchirantes pour nous tous», a déclaré le maire Bill de Blasio. «Il n’y aura pas d’inhumations massives sur Hart Island. Tout sera fait individuellement et chaque corps sera traité avec dignité», a-t-il toutefois souligné.

L’île offre assez d’espace pour accueillir des corps d’habitants défavorisés pendant encore une dizaine d’années, a précisé la municipalité, qui avait prévu en réalité de transformer Hart Island en parc public à moyen terme. Même s’ils n’étaient pas encore clairement définis, les détails du projet et le calendrier sont désormais complètement bouleversés par la pandémie de coronavirus.

L’île est aujourd’hui l’un des endroits les plus verrouillés de toute la ville. Pour le moment, les proches des défunts ne peuvent pas effectuer la traversée pour se rendre sur les tombes. Depuis le ponton, on ne voit que les bâtiments à l’abandon et des bosquets. Il y a quelques jours encore, des camions remplis de corps venus de tous les quartiers de New York étaient régulièrement transportés en bateau jusque Hart Island.

Aujourd’hui, le nombre de victimes quotidiennes du coronavirus est quelque peu retombé, mais les morgues de fortune sont toujours là. A un peu plus de dix kilomètres de là, sur le parking d’un stade de Randall’s Island, entre Manhattan et le Queens, les remorques forment de longues rangées.

Certains jours, la plupart d’entre elles étaient disposées aux quatre coins de la ville pour recevoir les tas de corps que les cliniques ne parvenaient plus à gérer. Il y a encore une note affichée sur la porte d’une remorque: «Veuillez ne plus mettre de dépouilles dans cette remorque», indique-t-elle.

«Pour la grande majorité des New-Yorkais, Hart Island n’existe pas», a récemment écrit le «New York Times». «Elle est à la fois loin des yeux et loin du cœur, c’est une nécropole dans la métropole, coupée géographiquement et psychologiquement de la population vivante.»

Des corps y sont enterrés en permanence – mais en temps normal, avant le début de la pandémie de coronavirus, personne n’y prêtait attention, selon le journal. «Hart Island a toujours été là. Le privilège d’ignorer son existence est une autre prérogative que la crise actuelle est en train de détruire.»

Derrière la clôture grillagée face à laquelle se dresse Hart Island, notre visite interpelle un travailleur. D’un ton amical, il demande s’il peut nous aider. Comme presque toujours ces jours-ci, la conversation tourne rapidement autour des inquiétudes liées à la crise et des récits d’horreur que beaucoup trop d’habitants de la ville ont désormais vécus. Son cousin, un chauffeur de bus new-yorkais, a succombé au COVID-19 il y a trois semaines, raconte l’agent. Il avait 55 ans, à peu près le même âge que lui.

Malgré tout, il est content de pouvoir encore travailler alors que tant de gens doivent rester chez eux. «Et maintenant que les camions ne viennent plus, mon travail est même vraiment sans danger.»

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